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VIEILLE FRANÇOISE • 581

le heurtoir. Ils écoutent, tous les trois, comme respirer des anges. Marie se hisse. Elle frappe. Une trappe grince. Une vieille émissaire infirme, qui porte un bandeau rouge sur l'œil droit et traîne des pantoufles de corde, leur apparaît. Elle dit durement, simplement : « Vous êtes les petites-filles de la Françoise. Dites à votre grand'mère que notre bonne mère supérieure a des regrets. Il n'y a plus de place pour vous dans la Providence. » La porte s'est refermée. Les deux plus petits pleurent. Marie ne les console pas. Elle leur dit : — « J'ai vu derrière la vieille dans le fond de la galerie un grand joujou d'argent pendre au mur. C'est ce qu'on appelle le Bon Dieu. Il y en a chez Madame Pierre Bincourt^ la bouchère. Comme on doit bien s'amuser avec ça, à l'habiller, à le bercer, à le faire dormir. Ça étend les bras, c'est tout en argent, et ça fait une figure douce comme les poupées des petites filles riches. Je l'aurais pris dans mes deux mains et vous l'auriez caressé. » Les deux petits ne l'ont pas écoutée. Marie pense maintenant à sa grand'mère. Vieille Françoise est toute contente de savoir ses petites filles dans la Providence, sous la bonne garde des Dames blanches, pour toujours. Elle les voit dans Tavenir heureuses et honorées, elle invite le reste du monde à se réjouir avec elle. Les revendeuses, assises entre un paquet d'oignons et une botte de perce-neige, l'en ont félicitée tour à tour. Mais qu'aperçoit-elle au bout de la rue ? ses petites-filles revenir toutes guindées et tristes, dans leurs sarraus noirs, neufs, qu'elle leur a cousus toute la nuit. Ses yeux en sont fatigués. Elle croit qu'ils papil- lotent et voient sur le ciel bleu le coton brillant des sarraus trembler, pour l'avoir regardé trop longtemps sous la lampe. Mais comme elle retrouve sur la rue toujours de plus près et obstinément l'image des trois petits Polichi- nelles, Vieille Françoise se décide à rentrer chez elle bien vite. Elle ne veut pas être humiliée devant le monde des marchands qui regardent trois enfants s'avancer et les inter- rogent sur leurs larmes.

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