VIEILLE FRANÇOISE 57^
fin, repoussa par délicatesse le premier et tous les motifs de joie qu'elle pouvait tirer d'un événement désiré mille fois, ne prit qu'un jupon autour de ses jambes, un fichu sur sa tête. Elle emportait la petite Marie dans ses bras, pour qu'elle pût voir encore son père. Vieille Françoise partit dans cet appareil à travers les rues mal pavées sans lumière jusqu'aux Tanneries, et ses pieds nus sortaient à chaque instant de ses sabots de bois qui réveillèrent toute la ville. L'enfant, qui marchait auprès d'elle dans le chemin, lui dit :
— « Hier soir, « il » est rentré tard, en criant. Il était ivre. Il a encore bu et il est sorti. Ce matin, on l'a trouvé mort dans le fossé. Deux boueurs nous le rapportent. »
L'enfant qui était fier et courageux méprisait l'ivrogne qui par aventure était son père. II ne s'effrayait pas devant la mort. Il disait tout cela sans larmes. Françoise pleurait. Quand elle fut entrée dans la maison, elle abandonna tout de suite la petite Marie. Des médecins autour du lit, qu'on avait tiré au milieu de la chambre, avaient dévêtu le cadavre et l'examinaient. La veuve, une grande brune aux yeux bleus très durs, se tenait dans un coin où elle trem- blait pâle et peureuse, son regard d'acier fixé sur le côté du mur qui était nu et où il y avait de la lumière. Françoise était moins impressionnée que sa fille. Elle n'était impres- sionnée que par la mort. Elle interrogea les médecins qui ne lui répondirent pas. Le gendarme qui se tenait près de la porte emmena sa fille qui ne lui demanda rien avant de partir. La petite Marie qu'on avait oubliée dans son coin voyait le cadavre de son père nu devant elle. Elle semblait curieuse et ne pleurait pas.
Petite Marie, à sept ans, portait déjà sur le monde les beaux yeux obstinés de sa mère, les boucles de ses cheveux courts, dorés, dansaient comme des grelots de folie autour de son front pMe et sur son cou grassouillet. Dès qu'elle regardait quelqu'un, elle l'avait conquis, et vous parlait-elle sur un ton sérieux, d'une voix plus grave qu'on ne l'at-
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