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VIEILLE FRANÇOISE 575

SOUS un tablier de droguet gris qui l'enveloppait bien toute. Si des empiècements de chemise à dentelles ou des cache- corset brodés bardaient de luxe sa pauvre vieille poitrine maigre, ce n'était pas de sa faute. Elle s'en revêtait pour se vêtir, ne donnant d'attention et d'amour qu'à son caraco de coton noir le plus simple, sans un pli, où elle enfermait bien exactement ces trésors et sa petite personne. Une coiffe de mousseline blanche, paysanne, qu'elle n'avait jamais voulu quitter malgré sa mère et les hommes, auréolait encore son visage. Son visage parlait de ses peines. Chaque ride en décrivait la courbe et la profondeur. Il n'y avait pas de place qui ne fût marquée sur son corps par la vie impitoyable. On y remarquait des taches bleues, violettes et noires comme des fleurs peintes, — des traces légèrement vertdegrisées ou incolores de morsures et comme l'empreinte même du fer rouge. Mais un sourire qui ne s'effaçait jamais, son regard dans le cadre de la coiffe blanche illuminaient tout ce qui l'approchait. Chacun finissait par voir sa face comme on regarde d'affreuses ruines où le soleil avant de s'éteindre se reposerait dans la splendeur. .

Elle serait patiente. Elle savait bien qu'elle posséderait la terre à force d'intelligence et d'humilité, — ce qui est la douceur. Un soir, elle était restée très tard dans la rue sur le pas de la porte de l'escalier, où elle se tenait rarement par discrétion. Toutes les maisons autour d'elle étaient fermées : — « Le monde est couché », dit-elle. Comme elle prenait l'air avec bonheur, — l'air des honnêtes gens, — quand ils n'en voulaient plus prendre et se retiraient dans leurs alcôves ! Elle s'aperçut bientôt que Madame Pô, une voisine, était seule à veiller derrière son contrevent et qu'elle paraissait inquiète. Françoise de se dire que c'est le moment d'acheter une cruche. Madame Pô, marchande de poterie, est heureuse de vendre une cruche et de trouver une distraction à son angoisse. Peut-être sera-t-elle heu- 'reuse un peu plus tard de disposer d'une confidente ?

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