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NOTES SUR U\ ÉVÉNEMENT POLITIQ.UE - 563

Nos yeux, notre esprit sont des machines à percevoir et à fixer. Malheur, ou chance à ce qui tombe sous leur prise ! Le voici du premier coup éternisé.

Ici, il y a une nuance à bien marquer. Nous voyons plus clairement, plus profondément à l'intérieur de la réalité que les Allemands ; nous photographions infiniment mieux qu'ils ne savent ; mais justement trop bien pour rester capa- bles de Sachlichkeit. Car les quelques éléments qui se trou- vent pris dans notre objectif, sont frappés dès l'abord d'une telle lumière, une telle évidence s'y incorpore, qu'ils se substituent à tous les autres et deviennent à leurs dépens ineffaçables.

Nous voyons trop durablement. Si l'on y réfléchit bien, toutes nos qualités et tous nos défauts découlent en panie double de ce seul trait. Le relief de tout ce que nous expri- mons, le caractère saillant, convaincant de toute notre litté- rature viennent du mélange d'éternel qui se fait automati- quement à toutes nos perceptions ; nous n'avons pour ainsi dire aucun effort à faire pour arracher les choses au temps ; par sa démarche la plus simple et sans même s'en aperce- voir, notre esprit les lui dérobe.

Mais justement parce que tout ce qui pénètre dans cet esprit y subsiste, s'y grave, le transformant tout de suite en une sorte de musée intérieur, la place ne tarde pas à y man- quer pour les « nouvelles acquisitions » ; la réalité qui, elle, continue à changer, ne trouve plus de chemin pour nous aborder, de porte pour s'introduire en nous. Elle est peu à peu exclue par la vue même que nous en avons prise et dis- paraît devant l'un de ses aspects.

Nous sommes ainsi, malgré notre pénétration, ou plutôt par sa faute, en continuelle différence avec elle ; nous ne la suivons pas, nous ne nous assouplissons pas mentalement à sa mesure. Ce qui a été prend sur nous un pouvoir impos- sible a briser.

C'est le passé qui sans cesse nous commande ; nous en cherchons, nous en ^X)ulons la suite, celle qu'il doit avoir

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