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50 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

pour soigiter les malades, estimant qu'il était de son devoir de le faire, puisque ces gens étaient ses fermiers. Ma tante Claire avait essa3é de la retenir, disant qu'avant de se devoir à ses fermiers, elle se devait à son fils ; qu'elle risquait beaucoup, pour n'être que d'un secours très médiocre ; et ce que ma tante aurait pu ajouter, c'est que ces gens, assez neufs sur la ferme, butés, rapaces, étaient incapables à tout jamais d'apprécier un geste désintéressé comme celui de ma niere. Albert et moi faisions chorus, très alarmés, car déjà deux des gens de la ferme étaient morts, et la fièvre typhoïde passait en ce temps pour contagieuse. Conseils, objurgations, rien n'y fit : ce que maman reconnaissait pour son devoir, elle l'accomplissait contre vents et marées. S'il n'y paraissait pas toujours nettement, c'est qu'elle avait encombré sa vie de maintes préoccupations adventices, de sorte que l'idée de devoir, souvent, se brésilkit chez elle en un tas de menues obligations.

Ayant à parler souvent de ma mère, je comptais que ce que je rappellerais d'elle en cours de route, allait la peindre suffisamment ; mais je crains d'avoir bien imparfaitement laissé voir \a personne de bonne volonté queWe était (je prends ce mot dans le sens le plus évangélique) et cette constante défiance de soi, que j'héritai d'elle. Elle était toujours s'ef- forçant vers quelque bien, vers quelque mieux et ne se reposait jamais dans la satisfaction de soi-même ; il ne lui suffisait point d'être modeste ; sans cesse elle travaillait à diminuer ses imperfections, ou celles qu'elle surprenait en autrui, à se corriger, à s'instruire. Du vivant de mon père, tout cela se soumettait, se fondait dans un grand amour. Son amour pour moi était sans doute à peine moindre, mais toute la soumission qu'elle avait professée pour mon père^, à présent, c'est de moi qu'elle l'exigeait. Des conflits en naissaient, qui m'aidaient à me persuader que je ne ressemblais qu'à mon père ; les plus profondes similitudes ancestrales ne se révèlent que sur le tard.

En attendant, ma mère, très soucieuse de sa culture et

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