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LE VOITURIER 5^1

Ce fut une grande période pour Liancourt. Dans le Vexin, les villages sont plus rassemblés que les nôtres. On se voit de plus près ; on communique plus volontiers. Toupin devint le démon du pays, un démon familier dont on avait grande horreur, dont on redoutait les maléfices, mais dont on était quand même un peu fier au regard des villages voisins. Tous les pays ne sauraient se vanter d'avoir un Toupin, surtout un Toupin comme celui-là. Songez qu'en moins d'un an il fit, à Liancourt, toutes les canailleries imaginables : il noya deux gamins dans la Troesne, qui n'a pourtant que moyennement d'eau ; il assomma d'un coup de poing, certain soir de grand froid, un vieux retraité qui vivait seul, dans le haut du village et qu'on trouva raide, en travers du chemin. Un homme, notez-le, qui avait justement une profonde haine de Tou- pin. Les vaches, ici et là, perdirent la retenette et avor- tèrent coup sur coup. Voilà du Toupin tout pur. Il y eut une maladie des basses-cours et les poules tombèrent comme mouches à gelée blanche. Encore Toupin ! De temps à autre, une baraque brûlait, car Toupin avait pris le goût du- feu.

Il ne se faisait pas seulement sentir : il se montrait. On l'apercevait parfois, à la nuit tombante, descendant du plateau par un sentier vert. Il avait, comme à l'ordinaire, sa tète inclinée sur la poitrine ; il allait, regardant ses pieds et dissimulant son visage. Parfois, la nuit, il parcourait les ruelles. Tout le monde reconnaissait le bruit de ses sou- liers, qu'il fabriquait lui-même et qui ne sonnaient pas comme les autres. Alors un homme ouyrait une lucarne et lâchait un coup de fusil, au juger, dans le noir. Un soir, à l'époque des couvraines, les gens de Liancourt le virent, de loin, traverser une pièce de terre et ramasser, chemin faisant, un peu du grain fraîchement semé, ce qui ne laissait présager rien de bon pour le propriétaire du champ.

Si jamais un homme a tenu en haleine un pays tout

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