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LE VOITURIER . 317

parages de Bosc-Roger. Un matin, il prit ses outils et ses quatre sous et il quitta Liancourt sans dire au revoir à per- sonne. Ça se comprend, puisqu'on ne l'aimait pas et qu'il n'avait pas de société ; mais ce n'est pas un procédé recom- mandable, à mon sentiment.

Tout le pays de Liancourt fit « ouf » comme si on lui avait retiré une montagne de sur le cœur. 11 ne s'agissait, en vérité, que d'un gringalet sans conséquence, mais on ne peut discuter ces choses-là, et quand un pays tout entier se prend d'aversion pour un homme, c'est perdre son temps que d'aller à l'encontre.

Laudrel gagna Rouen, par étapes. De là, il monta sur le plateau et, un matin, les gens de Bosc-Roger le virent débarquer sur le carreau du village. Il but un bol de cidre à l'auberge et se nomma avec autant de confiance que s'il eût dit : « C'est moi Christophe Colomb, qui reviens d'Amérique. »

Je crois bien que, dans tout Bosc-Roger, il n'y avait pas trois maisons où fût demeuré le souvenir de Laudrel, Le garçon s'aperçut tout de suite que le pays natal ce n'est pas forcément celui où on est né. Lui, Laudrel, était un de ces types qui n'ont pas de pays vraiment natal. En outre, il avait le cerveau mal organisé et ne remettait même pas les gens qui auraient pu le reconnaître.

Il traîna, quelques jours, de-ci, de-là, et finit par s'ins- taller à Ben,'ille pour y bricoler, comme il avait fait à Lian- court. Chez nous, on l'appelait « le veuf », à cause de son malheur. Il n'était même pas capable d'avoir un seul sur- nom. On l'avait appelé Toupin là-bas, ici le veuf; on l'aurait appelé de vingt façons qu'il n'aurait rien trouvé à reprendre.

Il avait, en ce temps-là, dans les trente-cinq ans. Je l'ai fréquenté et je peux vous assurer qu'il ne présentait rien d'extraordinaire, à première vue. Mais, pour quelqu'un qui s'y connaît, il n'était pas tout à fait naturel. Il avait l'air de dormir plutôt que de vivre. II tenait toujours la

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