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LE VOITURIER[1]

Assurément, Monsieur, l’opinion des hommes, ce n’est pas grand’chose ; mais ce n’est pas rien. Vous pensez : « des mots, des bruits, moins que du vent, moins qu’un brouillard ». Eh ! vous avez peut-être raison, peut-être tort. On vous dirait : « Il y a, au Canada, une ville dont tous les habitants vous tiennent pour un chenapan », ça vous ferait rire, parce que le Canada, c’est loin. Moi, à votre place, je ne sais trop comment je prendrais l’affaire.

Le village que nous atteignons s’appelle Bosc-Roger. Tout à l’heure, nous traverserons Bourgtheroulde, puis Berville. Le Roumois, voilà un pays que je connais passablement. Je pourrais nommer toutes les maisons et raconter l’histoire de chacune. Ces pommiers qui sont plantés dans les cours, je les ai, plus de cinquante fois, vu fleurir; j’en ai goûté le cidre, année par année, en promenant mon banneau du Thuit-Signol à Pont-Audemer et de Quille-bœuf à Caudebec. C’est le métier qui veut ça. Quand un pressoir grince au Bec-Hellouin, je l’entends du Thuit-Ebert. J’ai l’oreille sensible.

Nous passerons tout à l’heure au Teillement. Je vous montrerai la maison d’un homme nommé Ginest qui était bien le meilleur berger de ce plateau. Ginest a été tué, voici dix ans, par le savetier de Berville et, dans tout le

  1. L’auteur rapporte aussi fidèlement que possible les propos du voiturier Montgoubert, mais réserve, jusqu’à nouvel ordre, son jugement sur toute cette histoire.