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506 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

sions. Tout ce que je puis vous dire, c'est que le jour où elle rentrera en possession, elle aura beaucoup à faire. Des abstrac- tions sans nombre courent sous son nom. Tel ce Prussien, tel cet Anglais, qui ne s'aiment pas. Spengler, qui, lui, n'aime pas les philosophes du xyiii^ siècle, leur a emprunté l'homme natu- rel, en lui enlevant ce qu'il avait de naturel, et lui laissant ce qu'il avait d'abstrait. Prenant l'homme naturel, il l'affuble d'un casque, et le voilà devenu Prussien. Prenant ensuite un second, de la même espèce, il le coiffe d'un chapeau haut de forme, et vous dira que c'est un Anglais. C'est sans doute la meilleure manière de les « dénaturer », comme aurait dit Jean-Jacques, mais non d'en faire simplement des hommes. \'ous prenez une fonction, vous la poussez à la limite, et vous croyez avoir fait un homme ; le xyiii* siècle cherchait à rendre toutes les fonc- tions humaines en les réduisant à une commune mesure, à représenter sous les traits d'un homme, l'humanité en raccourci. Je crois que la vérité regrettera son homme naturel, que le cœur de Jean-Jacques avait rendu bon, alors que vos Anglais et vos Prussiens sont aussi méchants qu'ils sont abstraits.

Mais n'anticipons pas et revenons à M. Spengler et son temps. M. Spengler est un organisateur émérite ; un vrai géné- ral d'après-guerre, dont les unités sont des idées.

Kant dit quelque part que tout énoncé est précédé et déter- miné dans sa forme, parle a Je pense ». Ce n'est pas tout à fait vrai pour M. Spengler. Pour lui, c'est un « J'ordonne » qui forme l'a priori de sa. pensée; et puisque c'est un philosophe qui pense, il commande l'univers.

Terrible responsabilité direz-vous, mais pas trop lourde pour M. Spengler, qui toujours alerte et confiant pourvoit à tout. Voici par exemple : l'Anglais et le Prussien qui viennent cher- cher des ordres : vous direz toujours oui, quand l'autre dit non, dira M. Spengler, et voilà que tout est bien parce que par- faitement logique et ordonné, vu que cela fait une antithèse. Mais il n'y a pas seulement les Anglais et les Prussiens, il y a d'autres peuples, les Français par exemple. Oui, parlons de la France et de M. Spengler ; ce sera tout à fait intéres- sant.

Il faut que je commence par vous dire que M. Spengler n'aime pas les Français, du moins ceux d'à présent, car pour

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