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NOTES 495

souterrainement, il l'avait reprise dans V Alsace française, mais cette fois avec une contre-partie : montrer l'influence que l'Alsace peut exercer sur la France en échange de ce qu'elle en reçoit. Avec le Docteur Bûcher disparait notre meilleure sentinelle sur le Rhin. La Nouvelle Revue Française perd en lui un des hommes qui lui avaient marqué la plus fidèle amitié.

JEAN SCHLUMBERGER

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SOUS LES YEUX D'OCCIDENT, par Joseph Conrad, traduit de l'anglais par Philippe Neel. (Editions de la Nouvelle Revue Française).

Razumov est un professeur laborieux, pas très intelligent, ambitieux comme peut l'être un fonctionnaire, content du présent et d'un avenir suffisamment précis. Sa vie s'accélère sou- dain d'une catastrophe : c'est l'entrée dans sa chambre d'Haldin, étudiant anarchiste qui, à la suite d'un meurtre politique dont il est l'auteur, vient chercher refuge. Razumov l'enferme, sort et va le dénoncer. (La scène est très belle, c'est la meilleure du livre.) Razumov n'est pas à ses propres yeux un délateur. Converti par raison au régime autocratique qu'il estime nécessaire à la masse russe, il considère qu'il agit par civisme.

Ayant livré l'étudiant, Razumov a peur. Ne sera-t-il pas désormais suspect aux deux partis ? (Car sans être révolutionnaire, il a cependant donné des gages aux fractions avancées.) Perspicace, le Chef de la Police entretient cette névrose, assure l'isolement moral de son sujet, mûrit l'équivoque et réussit à s'attacher Razumov et à l'envoyer comme agent secret à Genève dans les centres révolutionnaires.

Mais ceci n'est que l'extérieur du drame. Le vrai conflit, pathétique et destructeur, qui dévaste Razumov, c'est la perte de son honneur ; conflit tout occidental, et même anglo-saxon. Ce Russe souffre comme un gentleman qui a perdu son self-respect. Cette salissure, à lui involontairement infligée par Haldin, Razumov essaie de la faire partager à son entourage. Il pousse au vol un jeune disciple ; il séduit la sœur de l'homme qu'il a livré. Ce dernier crime sera son salut : car il aime Nathalie ; il lui faudra dire toute la vérité : « La vérité qui paraissait en vous a forcé la vérité sur mes lèvres ; vous m'avez