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478 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

racine, tout mouvement verbal, peut se résoudre selon les cas en des mots fixes, en des vocalisations précises, s'arrêter en se solidifiant autour de voyelles ; esprit, inspiration, respi er repré- sentent des réalisations locales et précises en lesqu .lies il ne nous paraît pas que la racine élémentaire faite de consonnes épuise toutes les possibilités verbales dont elle est grosse, étant vivante : les centaines de mots indo-européens actuels qu'elle a comme déposés sur sa route sont peu de chose à côté de ceux qu'elle y a un moment déposés et qui ont péri, à côté de ceux qu'elle aurait pu y déposer. Et pourtant cette réalité indéfini- ment féconde de la racine faite de consonnes est une réalité simple. Elle nous représente le type du schcme moteur, type élémentaire de toute vie linguistique : c'est par schèmes moteurs que nous apprenons une langue, c'est par schèmes moteurs que nous lisons une page, des expériences précises l'ont prouvé, et M. Bergson a utilisé cette vue avec profondeur pour fonder une psychologie de la mobilité.

Le rôle des schèmes moteurs est analogue dans la poésie, qui ne fait que mettre en jeu de façon plus complexe les mécanismes du langage. En particulier ce sont les schèmes moteurs qui commandent toute la poésie de Victor Hugo, et un commen- taire du Satyre serait bien instructif à cet égard. Dans le Mariaqc de Roland Victor Hugo a eu d'abord devant les yeux ce schème d'un combat qui cesse non faute de combattants, mais parce qu'aucun des combattants ne peut vaincre l'autre. Voilà ce qui lui a sauté aux yeux quand il a lu l'article de Jubinal. Il faut y joindre un second schème, dont on se rendra fort bien compte en comparant le poème de Hugo avec celui du moyen-âge que Jubinal résume : le schème militaire, l'instinct et la volonté de réaliser la nature claire, précise et loyale, sans arrière-boutique intérieure, sans recoins d'ombre, sans complication ni analyse, dont le fils du général Hugo (^J'aurais été soldat si je n'étais poète) a comme beaucoup de littérateurs le goût et presque la nostalgie. Les deux schèmes se réunissent admirablement pour former le sujet d'un combat épique. Mais on peut dire que la puissance d'un poète se mesure à sa capacité de symbolisme, c'est-à-dire à sa capacité de créer des œuvres qui aient une valeur univer- selle de symboles ou de types. Racine a fait tenir dans AthalielouXt la lutte de l'Eglise et de l'Etat : le schème moteur qu'il a monté

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