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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 477

plaçons dans un courant d'histoire littéraire, dans une continuité poétique où l'autonomie des mots, la liberté de leurs associa- tions, le milieu sonore et passif qu'est l'inspiration du poète, prennent jusqu'à Mallarmé et même plus loin une place grandis- sante. En critique comme en psychologie c'est en nous fondant d'abord sur cet élément physique que nous pourrons tabler sur quelque chose de solide. Mais est-ce bien tout? Et ne risquons-nous pas d'encourir le même reproche que nous adressons au poète, de nous laisser conduire par des abstractions et des idées toutes faites comme lui-même se laisserait conduire par les mots ?

En tout cas ces mots le conduisent par certaines voies plutôt que par d'autres. L'être réel et vivant qu'est un poème hugolien ne se ramène pas à de la chair verbale, il a une âme et même une pensée, et il implique, comme le dit justement M. Vodoz, une part d'inconscient. Cet inconscient représentait probable- ment chez Victor Hugo une force formidable et hors de propor- tion avec celui de n'importe quel poète français. Dans les expé- riences de spiritisme qu'on faisait à Guernesey, Molière et Victor Hugo dialoguaient en fort beaux vers, qui étaient bien entendu tous également hugoliens, et l'étude des profondes sources psy- chiques de ce génie poétique reste à faire : la psychologie nou- velle y contribuera.

Sans tente'r rien qui concerne cette étude, il me semble que peut-être déjà une psychologie assez courante nous permettrait de reconnaître ce qu'il y a après tout de vrai dans les enlumi- nures bizarres de M. Vodoz et même, Dieu me pardonne ! dans les cabrioles de M. Richepin.

Tout poème de Victor Hugo est construit non pas sur une idée, non pas sur des associations physiques de mots et d'ima- ges, mais sur un élément qui comprend l'un et l'autre, sur un élément primitif d'où l'un et l'autre ne se dissocient que posté- rieurement et artificiellement, et qui est un schème moteur. On sait que la création linguistique, dont l'invention poétique ne constitue qu'un état plus parfait, procède par schèmes moteurs, que les racines verbales sont, dans les langues indo- européennes et plus encore dans les langues sémitiques, des assemblages de consonnes, c'est-à-dire des mouvements ver- baux, et non pas des sons, c'est-à-dire des corps verbaux. Toute

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