RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 469
ses travaux. Il n'en est pas de même d'un médecin, d'un psycho- logue, d'un sociologue, dont les découvertes ne peuvent mani- fester à leurs propres yeux une fécondité que si elles sont con- tinuées sous leur direction et leur influence par une équipe de travailleurs. En ces matières un professeur, ayant des qualités de professeur, fera deux ou trois fois plus de travail utile qu'un isolé qui se contente de penser, d'écrire et de publier. La place considérable de Durkheim est due moins peut- être à ses livres qu'à son enseignement, aux groupes de socio- logues qu'il a formés, aux recherches qu'il a guidées et encou- ragées. Qjaand la Sorbonne a refusé par deux fois d'accepter M. Bergson, elle savait parfaitement qu'elle entraverait ainsi l'action d'une philosophie qui autant et plus qu'une autre a besoin de collaborateurs et d'élèves, attentivement formés, capables de l'appliquer à des domaines nouveaux, de l'étendre dans ces directions imprévisibles où l'impulsion du niaitre ne ferait que donner une lumière à l'originalité des trouvailles. L'enseignement du Collège de France ne permet à peu près aucune action réelle. Si M. Bergson vivait en pays germani- ques, où il n'y a pas comme en France une seule Université vivante pour quarante millions d'habitants, il aurait peut-être non seulement sa chaire d'université et ses équipes de travail- leurs, m;iis, comme Freud, une revue spéciale pour les travaux inspirés par sa méthode.
Les équipes de Freud prolifèrent aujourd'hui et se répandent de façon merveilleuse sur l'Allemagne et sur la Suisse. (Elles ont peu touché les pays Scandinaves.) Il me semble que leur influence devrait se conjuguer à peu près avec celle de la phi- losophie ou simplement de la psychologie bcrgsonienne : les théories de Freud s'éclairent singulièrement à la lumière de Matière et Mémoire. Elles figurent une spéculation ou plutôt une observation hardie et profonde sur la conservation de notre passé, sur la totalité de notre durée qui nous suit et qui est nous, sur les mécanismes qui font passer nos états psychologiques du conscient à l'inconscient et de l'inconscient au conscient. Et je sais bien que ces théories nous paraîtront en France moins neuves qu'elles ne semblent ailleurs, et que Freud nous sem- blera parfois avoir simplement nommé de certains vocables nouveaux et prestigieux des faits d'observation que l'analyse
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