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BILLETS A ANGÈLE 463

elles vont vers la gauche extrême, et je ne lés ramène à droite que par l'effort de ma raison. Cet effort je l'ai donné durant la guerre, par opportunité, par urgence, et je le donne encore par égard pour quelques amis à qui il me déplaît de déplaire — et qui ne se doutent sûrement pas de ce que je prends sur moi pour eux. Je ne dis point que mon raisonnement soit faussé, par quoi j'obtiens cette reclifica- tion de mes idées ; je dis simplement que cette direction ne leur est pas naturelle. Et je ne parviens pas à me persuader que la direction naturelle de la pensée ne soit pas la direc- tion la meilleure. On l'incline aisément par intérêt patrio- tique ou personnel, par sympathie ; mais je ne lui reconnais quelque valeur que si je la sens non inclinée. Voilà pour- quoi je me suis tu durant la guerre ; on a traversé de lugu- bres moments, où toutes les pensées du cœur et du cerveau s'enrôlaient ; il n'était plus question que d'aider, chacun de tout son modeste pouvoir ; aider la France ; l'aider à vain- cre, à en sortir vivante. La France en sort ; victorieuse, mais épuisée. Et maintenant, cette soumission de la pensée, on vient nous dire qu'elle est plus nécessaire que jamais. Cer- tains qui, durant la guerre, ont mis héroïquement leur cerveau dans leur giberne, veulent nous persuader qu'il est fort bien en cette place et n'a que faire d'en sortir. Que tout au moins il est m//7^ qu'il y reste — pour permettre le relève- ment de la France. Le pis est qu'ils le croient. Voici donc le dilemme : risquer de troubler momentanément un ordre factice et manifestement provisoire, par la mise au vent de certaines idées qui ne s'accommodent pas de lui — - ou con- sentir aux compromissions de la pensée, laisser se fausser notre jugement, s'émousser notre sens critique et se ternir enfin ce beau miroir qu'offrait la France, où la vérité, mieux que partout ailleurs, reconnaissait son clair visage '.

��I. « L'intelligence française, dans cet état de mobilisation perma- nente, risquerait bientôt non seulement de ne plus être l'intelligence, mais de ne plus être française », disait votre ami Thibaudet dans son

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