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NOUVELLES LETTRES DE STENDHAL 4O7

tif, l'accueille fort mal, l'envoie se promener à Gênes, et s'apprête à le tromper comme un homme qui ne mérite plus de ménagements.

Beyle a trop de pudeur pour étaler ses souffrances, même aux yeux de sa sœur. Mais ne nous y trompons pas, sa détresse est profonde. L'amour et l'argent, cruellement associés, comme il Qst d'usage, pour accabler le malheu- reux, lui font mener si dure vie, que de nouveau, et le plus sérieusement du monde, quand il aura vendu ses livres pour subsister, il songe à a quitter la compagnie, sans aller donner à Grenoble le spectacle inutile de sa misère ».

Cette détresse pitoyable, avant les Lettres à Pauline^ nous ne la connaissions guère. Dans sa correspondance avec ses amis, Beyle nous apparaissait tout autre ; nous imagi- nions que la Scala, et ses amours, suffisaient à lui faire oublier la médiocrité de sa fortune. Et sans doute, en effet, souvent l'oublia-t-il. Mais nous savons aujourd'hui tout le courage et toute la misère que la fierté d'Henri Beyle cachait à ses meilleurs amis, sous ses allures d'épicurien et de dilettante.

Bénissons pourtant de si bienfaisantes souffrances. La ruine de Beyle, et tous ses déboires, nous l'ont gardé tel que nous l'aimons. Si l'Empire avait survécu, si Beyle était devenu un important fonctionnaire, son heureuse fortune nous eût assurément gâté ce tendre rêveur. N'écrivait-il pas lui-même en 1810 : « Pour peu que ma vie actuelle dure..., je crois que mon cœur s'ossifiera tout-à-fait... On prend l'habitude d'afficher la dureté pour échapper au ridicule du tendre ». »

PAUL ARBELET

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