Page:NRF 16.djvu/386

Cette page n’a pas encore été corrigée

380 LA NOUVELLE REVUE IRANÇAISK

existe aussi bien i l'intérieur de chaque esprit. Et c'est de cette lutte même que doit naître l'œuvre ; l'œuvre d'art classique raconte le triomphe de l'ordre et de la mesure sur le romantisme intérieur. L'œuvre est d'autant plus belle que la chose soumise ét^iit d'abord plus révoltée. Si la matière est soumise par avance, l'œuvre est froide et sans intérêt. Le véritable classicisme ne comporte rien de restrictif ni de suppressif ; il n'est point tant conservateur que créateur ; il se détourne de l'archaïsme et se refuse à croire que tout a déjà été dit.

j'ajoute que ne devient p.is classique qui veut ; et que les vrais clas- siques sont ceux qui le sont malgré eux, ceux qui le sont sans le savoir.

��*

��Paul Valéry traite dans la Revue de Paris (i<= février), à propos de l'Adonis de La Fontaine, de la contrainte dans le vers :

Les exigences d'une stricte prosodie sont l'artifice qui confère au langage naturel les qualités d'une matière résistante, étrangère à notre âme, et comme sourde à nos désirs. Si elles n'étaient pas à demi insen- sées, et qu'elles n'excitassent pas notre révolte, elles seraient radicale- ment absurdes. On ne peut plus tout dire ; et pour dire quoi que ce soit, il ne suffit plus de le concevoir fortement, d'en être plein et enivré, ni de laisser échapper, de l'instant mystique, une figure déjà presque tout achevée en notre absence. A un dieu seulement est réservée l'ineffable indistinction de sou acte et de sa pensée. Mais nous, il faut peiner ; il faut connaître amèrement leur différence. Nous avons à poursuivre des mots qui n'existent pas toujours, et des coïncidences chimériques ; nous avons à nous maintenir dans l'impuissance, essayant de conjoindie des sons et des significations, et créant eu pleine lumière l'un de ces cauchemars où s'épuise le rêveur, quand il s'efforce indéfi- niment d'égaliser deux fantômes de lignes aussi instables que lui- même. Nous devons donc passionnément attendre, changer d'heure et de jour comme l'on changerait d'outil, et vouloir, vouloir.... Et même, ne pas excessivement vouloir.

Et plus loin :

Entendez-moi, je ne dis pas que le « délice sans chemin » ne soit le principe et le but même de l'art des poètes. Je ne déprise pas le don éblouissant que fait notre vie à notre conscience, quand elle jette brus- quemen dans le brasier mille souvenirs d'un seul coup. Mais, jusques _^ nos jours, jamais une trouvaille, ri un ensemble de trouvailles, n'on^^ paru constituer un ouvrage.

�� �