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NOTES 367

sèment en s'amusant d'elle. Remarquons-le en passant : à ce point de vue, il ne fait que réaliser à la millième puissance l'at- titude d'esprit naturelle au moindre « poilu » ; c'est bien de la même culture que celui-ci inconsciemment participe. Il doute et croit, il croit parce qu'il doute, et comme il croit, agit. Ainsi Montaigne a pu vivre en bon chrétien, pratiquer sa religion, se décider en toute certitude et dans ses écrits, par ailleurs, adopter l'attitude du doute philosophique. Paul Cazin au front, c'est Montaigne dans la tranchée, avec un peu plus de Bible en lui et le souffle d'Ezéchicl qui soulève de temps en temps la tempête autour du vaisseau d'Ulysse. Pour lui, comme pour Montaigne, comme pour le véritable humaniste, Ulysse n'est pas un mythe, mais un homme, mieux : un compagnon d'aventure ; un vers d'Homère ne représente pas quelque chose qui sonne juste et donne du plaisir, mais une pensée éternelle, actuelle, échappant par nature à toute prescription — et voici que la guerre lui donne l'occasion d'en contrôler la vérité active. Miracle ! la sagesse des siècles rejoint celle de nos soldats. Cazin recueille sur leurs lèvres telle et telle parole qui ne serait pas dépla- cée dans Xénophon et quand il se plaint de monter la garde avec de la boue jusqu'au ventre, il s'applique aussitôt la parole sacrée : Aquœ multœ non poiuerunt exlingucre carilaUm. Les grandes eaux n'auront pu éteindre l'amour. « Les grandes eaux, dit-il, image des grandes calamités » et justement d'une des pires calamités de cette guerre. Ainsi, en ce guerrier improvisé il ne naît pas une émotion, la plus imprévue, la plus insolite, comme la plus banale, qui ne trouve dans sa mémoire nourrie de textes un répondant, et sa culture devient un des ressorts principaux de son endurance ; j'imagine assez bien Péguy dans le même cas. Si en effet on pouvait songer à rapprocher de quel- que chose ces notes brèves, plaisantes, gaies, profondes, fleuries et pourtant simples, aisées et pourtant rares, d'une rareté qui ne . se fait pas voir, ce serait, pour l'allant et pour la qualité morale, sinon pour « l'écriture », des cahiers de Péguy. Cazin, non plus que Péguy, moins que Péguy peut-être, si fort entamé par Hugo, n'a pas été gâté par le moderne ; on sent qu'il ignore tout de nos modes, de nos grimaces, de nos discussions ; il naît, tout frais, d'un passé de culture ; les mots ont encore pour lui tout leur sens, et c'est en quoi, comme Péguy encore, il est si

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