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la modestie, je puis bien vous dire à présent que je me considère aujourd’hui comme le meilleur représentant du classicisme. J’allais dire le seul ; mais j’oubliais MM. Gonzague Truc et Benda.

Et maintenant permettez-moi quelques remarques complémentaires. J’écris au fil de ma pensée :

Le triomphe de l’individualisme et le triomphe du classicisme se confondent. Or le triomphe de l’individualisme est dans le renoncement à l’individualité. Il n’est pas une des qualités du style classique qui ne s’achète par le sacrifice d’une complaisance. Les peintres et les littérateurs que nous louangeons le plus aujourd’hui ont une manière ; le grand artiste classique travaille à n’avoir pas de manière ; il s’efforce vers la banalité. S’il parvient à cette banalité sans effort, c’est qu’il n’est pas un grand artiste, parbleu ! L’œuvre classique ne sera forte et belle qu’en raison de son romantisme dompté. « Un grand artiste n’a qu’un souci : devenir le plus humain possible, — disons mieux : devenir banal, — écrivais-je il y a vingt ans. Et chose admirable, c’est ainsi qu’il devient le plus personnel. Tandis que celui qui fuit l’humanité pour lui-même, n’arrive qu’à devenir particulier, bizarre, défectueux... Dois-je citer ici le mot de l’Evangile ? — Oui, car je ne pense pas le détourner de son sens : Celui qui veut sauver sa vie (sa vie personnelle) la perdra ; mais celui qui veut la perdre la sauvera (ou, pour traduire plus exactement le texte grec : îa rendra vraimeni vivante). »

J’estime que l’œuvre d’art accompli sera celle qui passera d’abord inaperçue, qu’on ne remarquera même pas ; où les qualités les plus contraires, les plus contradictoires en apparence : force et douceur, tenue et grâce, logique et abandon, précision et poésie — respireront si aisément, qu’elles paraîtront naturelles et pas surprenantes du tout. Ce qui fait que le premier des renoncements à obtenir de soi, c’est celui d’étonner ses contemporains. Baudelaire, Blake, Keats, Browning, Stendhal n’ont écrit que pour les générations à