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NAUFRAGE DE LA « VILLE DE SAINT-NAZAIRE » 327

subissions avec résignation ces supplices de tous les ins- tants. Mais je voyais bien que mes deux compagnons dont le moral était resté sain, étaient désespérés et je dois avouer que moi-même je commençais à croire la partie bien com- promise. J'étais fermement convaincu que si nous n'étions pas recueillis avant la fin de ce jour, nous étions perdus. Quand je pensais à cela, le découragement m'envahissait ; mais je n'avais pas le droit d'être découragé ; je devais lutter jusqu'au bout pour ceux qui étaient avec moi, pour ma famille dont le chagrin et la misère si je venais à dispa- raître eussent été irrémédiables et enfin pour moi qui, n'ayant rien à me reprocher dans ce naufrage, n'avais pas envie de mourir. Cette pensée soutint mon courage et je fus assez heureux pour soutenir celui de mes deux autres compagnons, dont le concours m'était indispensable pour lutter encore.

Après nous avoir soumis à tant de supplices. Dieu ne voulut pas que tant d'efforts fussent perdus. Touché de nos souffrances et de notre résignation, il voulut nous donner une joie immense en nous envoyant une aide inespérée, sous la forme du Capitaine anglais Adams du Maroa.

Oui, ce fut un Capitaine anglais qui nou^ sauva, et cela étonnera probablement beaucoup de marins français, sans compter ceux de nos compatriotes qui ne naviguent pas, mais qui s'intéressent aux choses de la mer. (Les Anglais ont en effet la réputation, méritée ou non, d'être très peu humains à la mer et l'on pourrait citer bien des cas de navires anglais passant près de navires en détresse, sans dai- gner jeter un regard de compassion sur les camarades qu'ils abandonnent au désespoir.) Cependant, il y en a de chari- tables aussi parmi eux et mon sauvetage le prouve, car non seulement le Capitaine Adams n'hésita pas à venir à mon secours, mais il fut ensuite d'une fraternité digne de tous les éloges, et me prodigua, ainsi qu'à mes compagnons, les soins les plus attentifs. Ceci prouve que chez les Anglais comme chez nous, il y en a de bons et de mauvais.

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