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3l6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

nous. Malheureusement, nous n'eûmes même pas besoin de crier; nous vîmes bien, dans cette soirée, deux feux de navire, mais ils étaient si loin que toute tentative pour attirer leur attention en criant n'eût servi qu'à dépenser des forces déjà bien épuisées. Nous regardâmes ces feux disparaître avec une angoisse de plus au cœur. La nuit s'était faite complètement noire, car le ciel était couvert de nuages épais qui masquaient la lune, dont la lueur eût pu nous éclairer un peu et diminuer ainsi l'horreur et le senti- ment du néant que cause une obscurité profonde.

Nous naviguions toujours sous la même allure, avec la brise fraîche qui nous avait poussés toute la journée ; nous traversions sans doute des bouchons de brume, car de temps à autre les hallucinations revenaient et nous faisaient voir des choses extraordinau'es. C'est ainsi que, cette soirée, nous eûmes la sensation de naviguer en longeant la silhouette d'un mur immense, par-dessus lequel on aper- cevait les maîtresses branches d'arbres gigantesques qui s'épandaient au-dessus de la mer, laquelle battait très distinctement le pied du mur. J'avais à chaque instant la crainte que la baleinière n'allât se briser sur le mur et je faisais de grands efforts pour dévier sa direction ; puis il me semblait contourner le coin de ce mur que je ne voyais que du côté du vent. Sous le vent il me semblait aperce- voir dans le noir de l'horizon la silhouette encore plus noire d'une île, quelquefois même j'apercevais vaguement comme des arbustes dont le pied sortait de l'eau. Je ne me souviens pas si mes compagnons ont eu la vision de l'île, mais je sais qu'ils ont eu celle du grand mur. Je ne sais au juste à quoi attribuer ces visions, mais j'ai toujours cru que les bouchons de brume en étaient la principale cause et que l'anémie du cerveau aidant, les couches de brume plus ou moins épaisses prenaient à nos yeux hagards des formes bizarres. Brusquement tout disparaissait, puis réap- paraissait dans le lointain.

Nous naviguâmes ainsi toute la nuit sans savoir exacte-

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