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NAUFRAGE DE LA « VILLE DE SAIXT-NAZAIRE » 297

fester chez plusieurs de mes compagnons d'infortune ; tant qu'ils sentirent que la baleinière était dans le voisinage des grands life-boats, la confiance dans le salut ne cessa de régner, mais quand ils eurent acquis la certitude que notre frêle esquif, constamment rempli à moitié par les vagues, ne pouvait même plus, en cas de submersion com- plète, compter sur le secours des autres canots, les lamen- tations les plus tristes sortirent de leur bouche, et il devint difficile de leur donner la confiance qui soutient le courage. Malgré ce désespoir, qui finit d'ailleurs par s'apaiser et par faire place peu à peu à la somnolence de la fiitigue, cette première nuit se passa sans que nous ayons trop à nous plaindre. Nous avions navigué à la voile toute la nuit, la mer n'était pas trop grosse (ce qui ne l'empêchait pas d'em- barquer fréquemment), et la brise, très maniable pour une demi-voilure, nous avait fait faire assez de cliemin pour me donner l'espoir, si le temps continuait ainsi, d'atteindre la terre à la fin de la journée. Malheureusement, au lever du soleil, le vent de N.-E. recommença de plus belle à souffler et nous gêna beaucoup. Nous tînmes pourtant bon, vent arrière jusqu'à lo heures; mais à ce moment la mer était devenue si grosse, que cette allure devenait dangereuse et que les lames embarquaient à bord de notre pauvre balei- nière en la remplissant sans cesse à moitié, ce qui fait qu'elle n'était guère élevée au-dessus de l'eau, par l'arrière, que d'une vingtaine de centimètres. Nous préférâmes alors perdre un peu de chemin et ne pas risquer d'être engloutis par une de ces grosses lames qui déferlaient sur nous avec un fracas épouvantable et qui arrachaient des cris de détresse à la plupart de mes compagnons, surtout à la pauvre femme de chambre, qui en avait des crises nerveuses épouvanta- bles. Nous prîmes donc la cape debout au vent en filant, comme ancre de salut, nos avirons amarrés en drome. Cette allure nous permettait de vider notre baleinière plus facilement et ne nous était pas défavorable comme direc- tion de dérive, car le vent de N.-E., portant à terre, nous

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