EUPALINOS OU l'architecte 28 I
toujours renaissantes, toujours égales à la puissance de l'invisible adversaire... C'est là précisément la jeunesse. Je foulais fortement le bord sinueux, durci et rebattu par le flot. Toutes choses autour de moi étaient simples et pures : le ciel, le sable, l'eau. Je regardais venir du large ces grandes formes qui semblent courir depuis les rives de Libye, transportant leurs sommets étincelants, leurs creuses vallées, leur implacable énergie, de l'Afrique jusqu'à l'Attique, sur l'immense étendue liquide. Elles trouvent enfin leur obstacle, et le socle même de THellas ; elles se rompent sur cette base sous-marine ; elles reculent en désordre vers l'origine de leur durée. Les vagues, à ce point, détruites et confondues, mais ressaisies par celles qui les suivent, on dirait que les figures de l'onde se combat- tent. Les gouttes innombrables brisent leurs chaînes, une poudre étincelante s'élève. On voit de blancs cavaliers sauter par delà eux-mêmes, et tous ces envoyés de la mer inépuisable périr et reparaître, avec un tumulte monotone, sur une pente molle et presque imperceptible, que tout leur emportement, quoique venu de l'extrême horizon, ne saurait gravir... Ici, l'écume, jetée au plus loin par le flot le plus haut, forme des tas jaunâtres et irisés qui crèvent au soleil, ou que le vent chasse et disperse, le plus drôle- ment du monde, comme bêtes épouvantées par le bond brusque de la mer. Mais moi, je jouissais de l'écume naissante et vierge... Elle est d'une douceur étrange, au contact. C'est un lait tout tiède, et aéré, qui vient avec une violence voluptueuse, inonde les pieds nus, les abreuve, les dépasse, et redescend sur eux, en gémissant d'une voix qui abandonne le rivage et se retire en elle-même ; cepen- dant que l'humaine statue, présente et vivante, s'enfonce un peu plus dans le sable qui l'entraîne ; et cependant que l'âme s'abandonne à cette musique si puissante et si fine, s'apaise, et la suit éternellement.
Phèdre. — Tu me fais revivre. O langage chargé de sel, et paroles véritablement marines !
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