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EUPALINOS OU l'architecte 26^

Phèdre. — ... et il ajouta : J'ai cherché la justesse dans les pensées ; afin que, clairement engendrées par la consi- dération des choses, elles se changent, comme d'elles- mêmes, dans les actes de mon art. J'ai distribué mes atten- tions ; j'ai refait l'ordre des problèmes ; je commence par où je finissais jadis, pour aller un peu plus loin... Je suis avare de rêveries, je conçois comme si j'exécutais. Jamais plus dans l'espace informe de mon âme, je ne contemple de ces édifices imaginaires, qui sont aux édifices réels, ce que les chimères et les gorgones sont aux véritables animaux. Mais ce que je pense, est faisable ; et ce que je fais, se rapporte à l'intelligible... Et puis... Ecoute, Phèdre (me disait-il encore), ce petit temple que j'ai bâti pour Her- mès, à quelques pas d'ici, si tu savais ce qu'il est pour moi ! — Où le passant ne voit qu'une élégante chapelle,

— c'est peu de chose : quatre colonnes, un style très simple

— j'ai mis le souvenir d'un clair jour de ma vie. O douce métamorphose ! Ce temple délicat, nul ne le sait, est l'image mathématique d'une fille de Corinthe, que j'ai heu- reusement aimée. Il en reproduit fidèlement les proportions particulières. Il vit pour moi ! Il me rend ce que je lui ai donné...

— C'est donc pourquoi il est d'une grâce inexplica- ble, lui dis-je. On y sent bien la présence d'une per- sonne, la première fleur d'une femme, l'harmonie d'un être charmant. Il éveille vaguement un souvenir qui ne peut pas arriver à son terme ; et ce commencement d'une image dont tu possèdes la perfection, ne laisse pas de poindre l'âme et de la confondre. Sais-tu bien que si je m'abandonne à ma pensée, je vais le comparer à quelque chant nuptial mêlé de flûtes, que je sens naître de moi- même.

Eupalinos me regarda avec une amitié plus précise et plus tendre.

— Oh ! dit-il, que tu es fait pour me comprendre ! Nul plus que toi ne s'est approché de mon démon. Je voudrais

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