EUPALINOS OU l'architecte 267
nétrables à la durée, éternels intérieurement, passagers quant à la nature ; où elles sont enfin ce qu'elles con- naisseiit ; où elles désirent ce qu'elles sont; où elles se sentent créées par ce qu'elles aiment, et lui rendent lumière pour lumière, et silence pour silence, se donnant et se recevant sans rien emprunter à la matière du monde ni aux Heures. Elles sont alors comme ces calmes étince- lants, circonscrits de tempêtes, qui se déplacent sur les mers. Qui sommes-nous, pendant ces abîmes ? Ils sup- posent la vie qu'ils suspendent...
Mais ces merveilles, ces contemplations et ces extases n'éclaircis'sent pas pour mes yeux notre étrange problème de la beauté. Je ne sais pas attacher ces états suprêmes de l'âme à la présence d'un corps ou de quelque objet qui les suscite.
Phèdre. — O Socrate, c'est que tu veux toujours tout tirer de toi-même!... Toi que j'admire entre tous les hoVnmes, toi plus beau dans ta vie, plus beau dans ta mort, que la plus belle chose visible; grand Socrate, adorable laideur, toute-puissante pensée qui changes le poison en un breuvage d'immortalité, ô toi qui, refroidi, et la moitié du corps déjà de marbre, l'autre encore parlante, nous tenais amicalement le langage d'un dieu, laisse-moi te dire quelle chose a manqué peut-être à ton expérience.
Socrate. — Il est bien tard, sans doute, pour m'en instruire. Mais parle tout de même.
Phèdre. — Une chose, Socrate, une seule t'a fait défaut. Tu fus homme divin, et tu n'avais peut-être nul besoin des beautés matérielles du monde. Tu n'y goûtais qu'à peine. Je sais bien que tu ne dédaignais pas la douceur des campagnes, la splendeur de la ville et ni les eaux vives, ni l'ombre délicate du platane ; mais ce n'étaient pour toi que les ornements lointains de tes méditations, les environs délicieux de tes doutes, le site favorable à tes pas inté- rieurs. Ce qu'il y avait de plus beau te conduisant bien loin de soi ; tu voyais toujours autre chose.
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