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262 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

comme les faux. Je puis donc parler sans nulle crainte de me tromper, car si je me trompe, je dirai vrai tout à l'heure, et si je dis vrai, je dirai faux un peu plus tard.

O Phèdre, tu n'es pas sans avoir remarqué dans les dis- cours les plus importants, qu'il s'agisse de politique ou des intérêts paTticuliers des citoyens, ou encore dans les paroles délicates que l'on doit dire à un amant, lorsque les circons- tances sont décisives, — tu as certainement remarqué quel poids et quelle portée prennent les moindres petits mots et les moindres silences qui s'y insèrent. Et moi, qui ai tant parlé, avec le désir insatiable de convaincre, je me suis moi- même à la longue convaincu que les plus graves arguments et les démonstrations les mieux conduites avaient bien peu d'effet, sans le secours de ces détails insignifiants en appa- rence ; et que par contre, des raisons médiocres, convena^ blement suspendues à des paroles pleines de tact, ou dorées comme des couronnes, séduisent pour longtemps les oreilles. Ces entremetteuses sont aux portes de l'esprit. Elles lui répètent ce qui leur plaît, elles le lui redisent à plaisir, finissant par lui faire croire qu'il entend sa propre voix. Le réel d'un discours, c'est après tout cette chanson, et cette couleur d une voix, que nous traitons à tort comme détails et accidents.

Phèdre. — Tu fais un immense détour, cher Socrate, mais je te vois revenir de si loin, avec mille autres exem- ples, et toutes tes forces dialectiques déployées !

Socrate. — Considère aussi la médecine. Le plus habile opérateur du monde, qui met ses doigts industrieux dans ta plaie, si légères que soient ses mains, si savantes, si clair- voyantes soient-elles ; pour sûr qu'il se sente de la situation des organes et des veines, de leurs rapports et de leurs profondeurs ; quelle que soit aussi sa certitude des actes qu'il se propose d'accomplir dans ta chair, des choses à retrancher et des choses à rejoindre ; si par quelque circons- tance dont il ne s'est pas préoccupé, un fil, une aiguille dont il se sert, un rien qui dans son opération lui est utile, n'est

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