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EUPALINOS OU L ARCHITECTE 259

pent des conséquences funestes : le jugement ne se fixe nulle part, Tidée se fait sensation sous le regard, et chaque homme traîne après soi un enchaînement de monstres qui est fait inextricablement de ses actes et des formes succes- sives de son corps. Je songe à la présence et aux habitudes des mortels dans ce cours si fluide, et que je fus l'un d'en- tre eux, cherchant à voir toutes choses comme je les vois précisément maintenant. Je plaçais la Sagesse dans la pos- ture éternelle où nous sommes. Mais d'ici tout est mécon- naissable. La vérité est devant nous, et nous ne compre- nons plus rien.

Phèdre. — Mais d'où peut donc, ô Socrate, venir ce goût de l'éternel qui se remarque parfois chez les vivants ? Tu poursuivais la connaissance. Les plus grossiers essaient de préserver désespérément jusqu'aux cadavres des morts. D'autres bâtissent des temples et des tombes qu'ils s'effor- cent de rendre indestructibles. Les plus sages et les mieux inspirés des hommes veulent donner à leurs pensées une harmonie et une cadence qui les défendent des altérations comme de l'oubli.

Socrate. — Folie ! ô Phèdre ; tu le vois clairement. Mais les destins ont arrêté que, parmi les choses indispen- sables à la race des hommes, figurent nécessairement quel- ques désirs insensés. Il n'y aurait pas d'hommes sans l'amour. Ni la science n'existerait sans d'absurdes ambi- tions. Et d'où penses-tu que nous ayons tiré la première idée et l'énergie de ces immenses efforts qui ont élevé tant de villes très illustres et de monuments inutiles, que la raison admire qui eût été incapable de les concevoir ?

Phèdre. — Mais la raison, cependant, y eut quelque part. Tout, sans elle, serait par terre.

Socrate. — Tout.

Phèdre. — Te souvient-il de ces constructions que nous vîmes faire au Pirée ?

Socrate. — Oui.

Phèdre. — De ces engins, de ces efforts, de ces flûtes

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