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252 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

même quand il se met en sang : car il fait métier de saigner, et il

n'oublie pas qu'il saigne, ut; s;.ul instant. Ne jamais taire métier de

rien, seule fa^^on d'être vrai.

Tout lui est occasion de se produire, toujours au premier rang,

toujours en scène. C'est la première place qu'il réclame sans cesse,

en la refusant aux autres. S'il n'était point né aux champs, il ne se

vanterait pas d'être paysan. Tartarin ne prend peut-être pas Ta-

rascon au sérieux. Mais Carlyle donne toujours la bière aigre de

son village pour le nectar, et le porridge pour l'ambroisie des dieux.

Il n'honore pas seulement sa vieille mère qui fume la pipe, comtue

son devoir l'y engage ; il l'élève au-dessus de toutes les mères. Il

insulte A celles qui se parfument. Pourquoi ? Je ne suis pas son

fils. Et j'aime mieux une mère qui sent la violette et qui ne fume pas

la pipe.

  • *

Dans LA Revue universelle (15 novembre), Léon Daudet évoque Mistral, et la Provence autour de Mistral :

Je me rappelle qu'un vendredi, comme tout le monde avait grand'faim, Roumanille, cependant orthodoxe, se laissa aller, en bon amphitryon (chacun régalait à son tour, comme il se doit) à com- mander des côtelettes. L'hôtesse leva les bras au ciel : « Des côtelettes, un vendredi, ah ! Seigneur Dieu ! » Mais Mistral, intervenant, avec son inimitable sourire, sous l'aile de son grand chapeau gris: « Chassez ce scrupule, ma bonne femme, nous sommes des poètes ; c'est nous qui faisons les psaumes. »....

Sur le chapitre de la beauté des Provençales, Frédéric Mistral ne plaisantait pas. Jean Aicard, caricature sans talent, tantôt de Paul Arène, tantôt de Félix Gras, raillait lourdement, un jour, en présence du Maillanais, des silhouettes de lavandières, entrevues, revenant du travail : v Je te conseille, lui dit Mistral, de parler du phy- sique d'autrui, avec ta mine de vieux caillou poreux, retiré du Rhône. ))....

Ses récits, d'une bonhomie narquoise, et qu'il relevait d'une pointe d'accent du pays d'Arles (les Provençaux me comprendront), avaient un charme et une syntaxe à part. Il parlait souvent de lui, à la seconde ou à la troisième personne : « Je me dis : tu as tort... Alors j'em- menai mon pauvre Mistral... lù je songeais : mais qu'est<e qui te prend, mon bonhomme ? » D'un petit épisode, il faisait jaillir un ensei- gnement général, sans appuyer, complétant sa démonstration d'un sourire, ou d'un rire léger, qui lui plissait le coin de l'œil, demandant à celui-ci et celui-là une explication complémentaire, prenant à témoin sa femme, la servante, son interlocuteur, un personnage légendaire

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