226 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
boulevard Pasteur, la pauvre mélancolie des faubourgs, des visages blêmes sous les lumières de la foire. Le Chinois, la Petite Fille Américaine, les Acrobates, voici trois « numéros » qui ne « transposent » pas le music-hall mais l'élargissent et l'agrandissent — et les deux Managers, si, maintenant, leurs lourdes carcasses de boib et de tôle surprennent à peine un public prêt à tout accepter, je ne puis oublier les sifflets et les cris qui accompagnaient, en 1917, leurs piétinements méchants. Enfin la vogue de Médrano, le souvenir des Fratellini, ont fait applaudir comme une danseuse-étoile le cheval de cirque, ima- giné par Picasso, et son irrésistible comique.
Jean Cocteau a présenté Parade ainsi qu' « un gros jouet» simple comme bonjour », en ajoutant : « Pourquoi chercher du crime, du mystère, de l'intention secrète dans ce divertisse- ment qui nous a coûté tant de travail à Satie, Picasso, Massine et moi. » C'est là ce qui fait la perfection de Parade et d'où sort vraiment la force de la partition de Satie. Satie, c'est l'ordre, la raison, la clarté — mais quel ordre et quelle raison ! \'oici des années que je l'admire. Il nous a appris à tous une simplicité inconnue et combien les « moyens » et les « raffinements » sont choses misérables et artificielles. Sa partition justifie une phrase de Strawinskv que je veux transcrire ici et classant, après Parade^ trois musiciens français: « Il y a Bizet, Chabrier, Satie. » Bizet ! On pense aussitôt à Nietzsche, au Cas Wagner et voici en effet la même lutte. Mais le triomphe réel et presque imprévi- sible de cette reprise de Parade paraît bien être un clair symp- tôme de l'esprit qui anime maintenant tout un public. Il ne sert à rien de parler ici de la « mode ». Wagner, De- bussy ont été « à la mode ». Ils ne le sont plus. Mais il faut se féliciter sans doute qu'ils l'aient été. Erik Satie n'est pas un montmartrois qui tape sur des machine à écrire pour mystifier les snobs. Qui pourrait songer à organiser, aussi coùteusement, de semblables mystifications? La « farce », pitoyable jeu de l'esprit, ses derniers refuges sont peut-être Bayreuthou la Comé- die-Française. J'aime cette phrase de Satie, qu-ej'ai lue il y a déjà quelques années : « Avant d'écrire une œuvre, j'en fais plu- sieurs fois le tour en compagnie de moi-même. » L' a improvi- sation », la « chaîne d'atelier », la fausse note « drôle », voilà ce q^ui m'éloignerait de quelqu'un. M. Suarès se trompe lors-
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