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210 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

turier les a rencontrés. Ils se sont introduits presque malgré elle dans son existence et l'ont charmée. L'auteur ne peut se retenir de nous faire partager les joies d'une qualité rare qu'elle a goûtées en compagnie de ses noirs amis.

Madame Cousturier a d'ailleurs le bon goût de ne pas établir entre ses compatriotes et les Sénégalais une comparaison trop nette. Non pas que son opinion soit un instant douteuse : quelques épithètes méprisantes jetées çà et là montrent en quelle mince estime elle tient les civilisés que nous sommes. Elle ne fait même point d'exception pour elle-même : elle laisse deviner en certaines pages qu'elle se sent fort inférieure aux inconnus qui franchirent son seuil.

Mais ce livre n'est pas une plaidoirie en faveur de la race noire. Madame Cousturier dédaisfne de s'adresser à notre raison et même à notre cœur. Il est depuis longtemps démontré que ni l'une ni l'autre ne sont capables de nous faire com- prendre que des hommes peuvent être nos frères bien que leur peau soit d'une autre teinte que la nôtre. Pour gagner notre sympathie à ceux qui forcèrent la sienne, Madame Cousturier fait uniquement appel à notre sensibilité physique. Elle use pour peindre ses amis de fraîches images qui émeuvent nos sens. Voici les sourires de Metey Saar : ils sont purs comme la fenêtre ouverte. \'oici Saar Gueye, rafraîchissant, discret comme une goutte d'eau dans l'herbe. Tel autre tirailleur évoque un peuplier, tel autre encore une guêpe blessée. Cela conquiert mieux que des discours.

Ces Inconnus, Madame Cousturier ne s'ingénie pas à nous les faire connaître. Elle s'emploie à les éloigner, à nous les rendre étrangers, sachant bien qu'ainsi nous les comprendrons mieux. C'est que nous avons, dès qu'il s'agit de porter un jugement, un voile épais devant les yeux — c'est la théorie même et presque les termes propres de Madame Cousturier. Nos sens sont oblitérés par des clichés qui sont ce que nous appelons fièrement nos « connaissances ». Et nos connaissances touchant les Sénégalais c'est la légende du Soldat-Bête, du Diable militarisé, invention dérisoire que Madame Cousturier détruit en se jouant.

Dès l'instant qu'il n'est plus l'homme dont les musettes sont lourdes de têtes sanglantes, le Sénégalais devient lointain,

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