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NOTES 207

s'épanouir au printemps ; et encore sous l'aspect qu'elle aurait revêtu, si, au lieu qu'elle soit, par exemple, une fleur de chrv- santhème, elle eût été dahlia, glaïeul, ou violette ; ou bien telle qu'on l'aurait vue, non pas détachée de l'arbuste nourricier, mais, somptueuse, dans un beau jardin, au milieu de ses sœurs, ou dans sa dernière splendeur, et près de mourir, dans un vase, solitaire. 11 évoque, compare, suit les progrès, et, d'un coup d'ailes, nous transporte dans un lieu mystérieux et dominant, d'oii nous pouvons apercevoir, non seulement le vaste ensemble qu'il a disposé avec un art appliqué et précis, mais cet ensem- ble sous toutes ses faces. Et cette perspective qu'il nous montre, et qui semble, parce qu'il nous y a d'abord promenés, être moins un paysage qu'un lieu d'excursion, nous la compre- nons mieux, pour en avoir pénétré les détails, de même qu'un homme dégagera, avec plus de lucidité, le sens d'un décor qui s'étale devant ses yeux, s'il en a visité auparavant tous les replis. Mais j'entends bien que c'est un art difficile que de voir, dans ses grandes lignes ce qu'on connaît dans son détail, et que, pour beaucoup, la minutie d'esprit écarte la portée d'esprit. Et un grand nombre reprochent à M. Proust que son ouvrage ne soit pas composé, dont le dessein leur échappe. Qu'on se rappelle son livre précédent. Il y opposait, à la poésie du nom de lieu Balbec, la banalité du pays de Balbcc, ou, si l'on veut, à l'im- pression produite par ces deux syllabes, préalablement à toute rencontre, et par le seul jeu de l'imagination, l'impression pro- duite par la vue du pays, qui, ne répondant pas du tout à son image fictive, semble d'autant plus banal qu'il a été imaginé plus poétique. De même le nom de Guermantes, source et prétexte d'abord de fantaisies agréables et belles, quand, au lieu d'em- prunter son charme en quelque sorte à la phonétique, à la légende, et au château qu'il désigne, c'est-à-dire à tout ce qu'il permet d'évoquer, il s'applique aune personne, d'abord rencon- trée à peu près comme une vision, dépourvue de toute indivi- dualité, plaisante en ceci seulement qu'elle prête une apparence à la fiction, et ornée de parures brodées par un esprit ingénieux autour du nom qu'elle porte, change de sens en se fixant. Et à mesure que la duchesse de Guermantes, peu à peu descendue de l'empyrée où elle règne, d'abord comme un pur esprit, puis comme une nymphe au milieu de ses compagnes et de ses

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