RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE I97
guerre de l'Europe contre la France, en intervertissant il est vrai nos étiquettes et en voyant dans Napoléon le monstre du mécanisme ; et comme le bergsonismc descend authcntiquement de Schelling, ce n'en devient que plus intéressant. Mais si la grande guerre a posé une face de ce problème, les délibérations qui ont précédé le traité de Versailles en ont posé une autre face. Ce traité a taillé, coupé, divisé abondamment en Europe, et c'est ce qu'on dit quand on constate qu'il a balkanisé l'Europe centrale, en a décomposé les unités politiques. Il l'a découpée comme on découpe un poulet. Or il y a deux manières de couper un poulet, l'une qui suit les lignes de la vie, l'autre qui, pour des raisons très pratiques, procède méca- niquement.
La première, en usage dans les familles où l'on mange puis- samment enlève selon les articulations naturelles de la volaille deux ailes et deux cuisses, la carcasse formant la cinquième part. Si on est seulement six, la dignité de la table exige qu'on attaque un second oiseau. Mais ceux qui mangent à l'hôtel savent par expérience dans quel esprit de cautèle satanique et avec quel mépris de ces articulations naturelles le tenancier d'une table d'hôte sait faire rendre au corps inépuisable d'une poule autant de portions qu'il a de clients un jour de foire. Cette seconde méthode, toute mécanique, est évidemment intéressante pour un hôtelier, mais ne réussit que jusqu'au moment où un client impavide recompose tant bien que mal le membre naturel qui s'appelle une aile en abattant froidement dans son assiette une demi-douzaine de ces bouchées.
Les auteurs du traité de Versailles étaient partis en guerre — faudrait-il dire partis en paix ? — pour découper l'Europe cen- trale selon ses articulations naturelles, et cela faisait même le principal des quatorze points. On devait y arriver en observant le principe des nationalités. Mais on put s'apercevoir que la nationalité n'est pas une articulation si naturelle, et que deux autres principes aussi essentiels doivent la compléter. C'est d'abord le principe de l'association historique. Quand deux nationalités, soudées ensemble depuis des siècles, forment un être politique qui s'est révélé viable, la volonté de l'une d'entre elles suffit-elle pour que le lien doive être dissous ? L'association historique ne constitue-t-elle pas une prescription ? Non, a dit
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