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AYTRÉ aur PERD L HABITUDE . I79

lettre. Ou plutôt, non : celle-là s'est perdue. J*ai eu seu- lement la seconde qui disait :

« A la réflexion, il vaut mieux que vous passiez votre temps avec les indigènes, et moi avec moi. Ceci annule donc la lettre que vous a apportée le bouto, et cet accès d'aberration mentale. Pourtant je vous aime bien, mais t! vaut mieux que ce soit de loin. Amicalement. >►

Après tout cette première lettre, peut-être ne l'avait-elle pas écrite. Avec elle, on ne pouvait pas savoir. Mais sur l'argent à partager, non, il n'y avait décidément rien. Quoiqu'elle m'ait répété plus d'une fois, cela j'en suis sûr : mon frère est une tête brûlée, il ne sait pas se conduire.

Pourquoi Guetteloup voulait-il faire le rapport contre le bouto ? J'aurais dû les appeler tous deux, avec Aytré, et leur dire : « Il n'}' a pas à se moquer du monde, nous savons tous les trois que ce n'est pas un Malgache qui a fait le coup. Possible qu'ils n'aient pas de grandes qualités, dans cette race, mais ils n'ont pas ce vice ; tâchons de savoir la vérité. » Et un Grec, pas davantage, ce n'est pas la peine de me mentir à moi.

Après tout, je ne leur aurais rien appris, seulement il se trouvait que, du fait que peu de gens avaient le droit de s'y intéresser, le meurtre perdait (malgré nous, certes) sa gravité — je veux dire sa gravité courante, sa gravité de tous les jours, de ces jours où nous étions en rapports bien plutôt avec des nègres qu'avec des blancs. La rareté des Français les unissait aussi plus étroitement et portait à atténuer les désaccords qui avaient pu exister entre eux. (Raymonde devait en être venue à nous sembler un peu la complice de son assassinat.)

L'on pensera que le meurtre ne devait nous en pa- raître que plus atroce et inquiétant, aux moments où nous l'évoquions entre nous. Cela me semble aussi possible — mais enfin je n'ai pas souvenir de tels moments. C'est peut-être que notre état de « sous-officiers en pays mal- . gâche » l'emportait sur l'état plus général de Français.

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