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176 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

monde en apprenant qu'elle recevait un Malgache pouvait être la cause du meurtre. Mais il y avait aussi cette raison dont je n'avais fait part à personne sur le moment, et qu'il était trop tard maintenant pour dire à Guetteloup : je suis le seul à savoir que Raymonde n'a pas été volée. Il était entendu, depuis mon premier passage, qu'elle me remet- trait tout son argent — un peu plus de huit mille francs — pour l'envoyer de Tananarive à sa famille. C'est vrai qu'elle avait confiance en moi, et j'aurais peut-être dû lui parler pour le reste. Mais la confiance que l'on me porte me fait hésiter^ je doute si elle ne tient pas à mes défauts, et par exemple à ce caractère « rangé » que Raymonde me reprochait. (Elle serait surprise, si elle pouvait me voir à présent.) L'argent était dans le tiroir de la commode de poupée, personne n'y avait touché. Quand il a été sûr que Raymonde était morte, je l'ai pris et je l'ai rangé dans ma cantine. Dans quinze jours, je l'enverrai à son frère, avec une lettre. Il me faudra pourtant attendre d'avoir touché ma solde.

C'est d'un coup de couteau que Raymonde a été tuée ; je l'ai vue le premier. Elle avait son sourire un peu dur, les lèvres serrées. J'ai dû sentir le même trouble (avec l'effare- ment des yeux) que j'avais eu, la première fois qu'il m'était arrivé d'attendre dans un salon avec trop de glaces. Il y a entre une femme vivante — je veux dire une femme que l'on voit tous les jours, dont on a l'habitude — et cette femme morte, la même différence qui est entre une image et la réelle femme nue que représentait cette image.

Je ne tenais pas assez à Raymonde pour être triste. Je me sens abandonné pourtant, depuis quelques jours. Oui, cela n'a pas commencé aussitôt après sa mort ; il me sem- blerait plutôt que c'est une idée qui me manque, une de ces idées qui font que l'on se défend. Voici qui peut m'en aver- tir, ce matin : des douleurs aux reins, qui ne sont sans doute que l'effet de ce que Guetteloup m'a dit hier au soir, comme je reprenais du sucre : que j'avais tort, et que le

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