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164 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Nous regardions ces décors, pour le moins incompré- hensibles et dont la pauvreté des étoffes qu'ils ornaient ne pouvait qu'évoquer un divertissement de masques vul- gaires, quand Poisson-Rouge rentra avec deux bouteilles qu'il posa sur une table à côté d'un morceau de chandelle, quelques croûtes de pain et des peaux d'oranges dessé- chées.

— Buvez, dit-il. Peut-être avez-vous la fièvre ? »

Nous remplîmes nos verres et celui de Poisson-Rouge et nous bûmes à sa santé. C'est alors que nous entendîmes dans la rue une rumeur gémissante et grave, le piétinement des chevaux et le bourdonnement majestueux d'une foule en prières. Nous nous élançâmes vers les fenêtres proté- gées par des jalousies pour apercevoir une mascarade reli- gieuse dont l'aspect nous laissa étonnés. Entre deux files de soldats vêtus d'habits mal ajustés et portant le fusil avec nonchalance, marchaient des hommes et des femmes habil- lés de chasubles peintes à la manière de celles que nous avions aperçues sur les murs de la chambre. Ils étaient coiffés de bonnets grotesques, ce qui nous expliqua égale- ment l'utilité de ces pains de sucre dont l'aspect nous avait paru si repoussant à notre arrivée. Derrière ces pénitents de carnaval suivaient des esclaves métis soutenant sur leurs épaules des caisses de bois en forme de petits cercueils. Les prêtres chantaient dans cette confusion et des filles portant chasuble et bonnet de carton enluminé, blêmes de terreur, interrogeaient du regard, avec des yeux immenses, la foule des hommes barbus. Leurs mâchoires tremblaient. Par- fois elles fléchissaient sur les genoux, alors un confesseur tenant un crucifix les relevait avec une bienveillance peu discrète.

— C'est l'Inquisition, fit Mac Graw, et quelques juives que l'on mène au bûcher. Le pavillon hollandais_,nous pro- tège !

— Ils ont apporté la peste ici, répondit Poisson-Rouge. J'ai peint l'ange de la peste sur leurs bonnets que l'on

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