Page:NRF 16.djvu/151

Cette page n’a pas encore été corrigée

comme à une fable invraisemblable, à ce récit d’un si mauvais exemple, en le faisant la narratrice savait prendre le cassant, le tranchant de la plus indiscutable et plus exaspérante affirmation.

Mais surtout, comme les écrivains arrivent souvent aune puissance de concentration dont les eut dispensés le régime de la liberté politique ou de l’anarchie littéraire, quand ils sont ligotés par la tyrannie d’un monarque ou d’une poétique, par les sévérités des règles prosodiques ou d’une religion d’Etat, ainsi Françoise ne pouvant nous répondre d’une façon explicite, parlait comme Tirésias et eût écrit comme Tacite, Elle savait faire tenir tout ce qu’elle ne pouvait exprimer directement dans une phrase que nous ne pouvions incriminer sans nous accuser, dans moins qu’une phrase même, dans un silence, dans la manière dont elle plaçait un objet.

Ainsi, quand il m’arrivait de laisser, par mégardc, sur nia table, au milieu d’autres lettres, une certaine qu’il n’eût pas fallu qu’elle vît, par exemple parce qu’il y était parlé ^’elle avec une malveillance qui en supposait une aussi grande à son égard chez le destinataire que chez l’expéditeur, le.soir, si je rentrais inquiet, et allais droit à ma chambre, sur mes lettres rangées bien en ordre en une pile parfaite, le document compromettant frappait tout d’abord mes 3’eux comme il n’avait pas pu ne pas frapper ceux de Françoise, placée par elle tout en dessus, presque à part, en une évidence qui était un langage, avait son éloquence, et dès la porte me faisait tressaillir comme un cri. Elle excellait à régler ces mises en scène destinées à instruire si bien le spectateur, Françoise absente, qu’il savait déjà qu’elle savait tout, quand ensuite elle faisait son entrée. Elle avait pour faire parler ainsi un objet inanimé l’art à la fois génial et patient d’Irving et de Frederick Lemaître. En ce moment tenant au-dessus d’Albertine et de moi la lampe allumée qui ne laissait dans l’ombre aucune des dépressions encore visibles que le corps de la jeune fille avait creusées dans le