Page:NRF 16.djvu/14

Cette page n’a pas encore été corrigée

8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

En soi l'urémie n'est pas fatalement un mal mortel, mais le cas me paraît désespéré. Je n'ai pas besoin de vous dire que je désire me tromper. Du reste avec Cottard vous êtes en excellentes mains. Excusez-moi, ajouta-t-il, en voyant la femme de chambre entrer qui portait sur le bras l'habit noir du Professeur. Vous savez que je dîne chez le Ministre du Commerce, j'ai une visite à faire avant. Ah ! la vie n'est pas que roses, comme on le croit à votre âge. » Et il me tendit gracieusement la main. J'avais refermé la porte et un valet de chambre nous guidait dans l'antichambre, ma grand'mère et moi, quand nous entendîmes de grands cris de colère. La femme de chambre avait oublié de percer la boutonnière pour les décorations. Cela allait demander encore dix minutes. Le professeur tempêtait toujours pen- dant que je regardais sur le palier ma grand'mère qui était perdue. Chaque personne est bien seule. Nous repartîmes vers la maison.

Quand grâce aux soins parfaits de Françoise ma grand'- mère fut couchée, elle se rendit compte qu'elle parlait beaucoup plus facilement, le petit déchirement ou encom- brement d'un vaisseau qu'avait produit l'urémie avait sans doute été très léger. Alors elle voulut ne pas faire faute à maman, l'assister dans les instants les plus cruels que celle-ci eût encore traversés.

— Hé bien ! ma fîlle, lui dit-elle, en lui prenant la main, et en gardant l'autre devant sa bouche pour donner cette cause apparente à la légère difficulté qu'elle avait encore à prononcer certains mots, voilà comme tu plains ta mère ! tu as l'air de croire que ce n'est pas désagréable une indi- gestion !

Alors pour la première fois les yeux de ma mère se posè- rent passionnément sur ceux de ma grand'mère, ne voulant pas voir le reste de son visage, et elle dit, commençant la liste de ces faux serments que nous ne pouvons pas tenir :

— Maman, tu seras bientôt guérie, c'est ta fille qui s'y engage.

�� �