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SOUVENIRS SUR TOLSTOÏ 919

honteux de décrire la boue. Mais cependant pourquoi ne pas le faire ? Si, il est nécessaire de dire tout sur toute chose, tout. »

Des larmes lui vinrent aux yeux. Il les essuya, et puis en souriant il jeta un regard sur son mouchoir pendant que des larmes coulaient de nouveau le long de ses rides. «Je pleure, disait-il. Je suis un vieillard. Cela me fend le cœur chaque fois que quelque chose d'horrible me revient à la mémoire. » Et me poussant très doucement du coude, il dit : « Vous aussi vous arriverez à la fin de votre vie, et toutes les choses resteront exactement ce qu'elles étaient, et alors, vous aussi, vous pleurerez, vous pleurerez plus amèrement encore que moi, vous verserez des ruisseaux de larmes, comme disent les paysannes. Oui, il faut que dans les livres, il soit parlé de toutes choses, de toutes choses sans exception : autrement le bel enfant pourrait nous en vouloir, il pourrait nous faire des reproches : « Ce n'est pas vrai ce que vous dites, ce n'est pas toute la vérité, nous dira-t-il, car lui, il est pour la vérité. »

Il se secoua et dit d'une voix bienveillante : « Et main- tenant racontez-moi une histoire. Vous savez bien raconter. Racontez-moi quelque chose sur un enfant. Parlez-moi de votre enfance. Il est difficile de croire qu'il y eut un temps où vous fûtes enfant. Vous êtes une créature étrange : on a l'impression en vous voyant, que vous êtes né grande per- sonne. Dans vos idées il y a souvent un je ne sais quoi, qui fait songer à l'enfant et qui n'a pas été suffisamment mûri encore. Mais vous n'en savez que trop sur la vie, et on ne peut pas en demander plus. Allons, racontez-moi une his- toire,... »

Il s'étendit confortablement sur les racines découvertes d'un pin, et se mit à suivre les évolutions des fourmis courant affairées parmi les aiguilles grises qui jonchaient le sol.

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