874 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
ridicule ? Ce n'est pas qu'une femme soit dangereuse quand
£lle tient un homme par son , mais celle qui le tient par
son âme... »
Comme je relevais la contradiction que je remarquais entre les paroles qu'il venait de dire et les idées de la « Sonate à Kreuzer », un sourire, fusant à travers sa barbe, lui illumina toute la figure, et il dit :
— Je ne suis pas un pinson.
Le soir tandis qu'il se promenait, il dit subitement : « L'homme survit à des tremblements de terre, aux épidémies, aux horreurs de la maladie, et à toutes les agonies de l'âme, mais de tous temps la tragédie qui l'a tourmenté, qui le tour- mente et le tourmentera le plus, c'est — et ce sera — la tra- gédie de l'alcôve. >»
En disant cela il avait un sourire de triomphe : par mo- ments, il avait le sourire large et calme d'un homme qui a surmonté quelque chose de très difficile, ou, qui vient ^'étre soulagé tout à coup d'une douleur aiguë qui l'aurait lanciné pendant longtemps. Chaque pensée fore son âme comme une tique ; ou bien il l'arrache tout de suite, ou bien il lui permet de se repaître de son sang et quand elle en est pleine, elle tombe tout simplement d'elle-même.
Il nous lut à Suler et à moi une variante de la scène ■de la chute du « Père Sergius » — une scène cruelle. Suler faisait la moue et s'agitait, mal à l'aise sur sa chaise.
— Qu'y a-t-il ? Vous ne l'aimez pas ? demanda LéonNico- laïevitch.
— Cette scène est trop brutale, on dirait qu'elle est ■de Dostoïevski. C'est une fille dégoûtante, dont les seins ressemblent à des crêpes et autres choses de ce genre. Pour- quoi ne l'avez-vous pas fait pécher avec une femme belle et sâinc ?
— C'eût été pécher sans excuse, tandis qu'ainsi le péché
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