SI LE GRAIN NE MEURT... 817
l'excès les ténèbres où patientait mon enfance ; c'est-à- dire que je n'ai pas su parler de deux éclairs, deux sur- sauts étranges qui secouèrent un instant ma nuit. Les eussé-je racontés plus tôt, à la place qu'il eût fallu pour respecter l'ordre chronologique, sans doute se fût expli- qué mieux le bouleversement de tout mon être, ce soir d'automne, rue de L..,, au contact d'une nouvelle réalité.
Oui, ces deux menus faits sont bien du même ordre que ce troisième ; on dirait qu'ils l'ont préparé, et sans doute est-il maladroit de ne les raconter qu'ensuite ; mais parmi les puérilités avoisinantes, je ne savais ; à présent il est plus aisé... Le premier me reporte loin en arrière ; je voudrais préciser Tannée ; mais tout ce que je puis dire, c'est que mon père vivait encore. Nous étions à table ; Anna déjeunait avec nous. Mes parents étaient tristes parce qu'ils avaient appris dans la matinée la mort d'un petit enfant de quatre ans, fils de nos cousins Widmer ; je ne connaissais pas encore la nou- velle, mais je la compris à quelques mots que ma mère dit à Nana. Je n'avais vu que deux ou trois fois le petit Emile Widmer et n'avais point ressenti pour lui de sympathie bien particulière ; mais je n'eus pas plus tôt compris qu'il était mort, qu'un océan de chagrin déferla soudain dans mon cœur. Maman me prit alors sur ses genoux et tâcha de calmer mes sanglots ; elle me dit que chacun de nous doit mourir ; que le petit Emile était au ciel où il n'y a plus ni larmes ni souffrances, et tout ce que sa tendresse imaginait de plus consolant ; rien n'y fit, car ce n'était pas précisément la mort de mon petit cousin qui me faisait pleurer, mais je ne savais quoi,
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