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804 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

puis, étant venue du dehors plutôt que du dedans, le moi tragique lui fait défaut.

En effet, si les événements, certes, sont tragiques, les personnages, à généralement parler, ne le sont guère. Aussi a-t-on souvent l'impression d'une tragédie jouée par des acteurs fort médiocres. Je vous ai déjà parlé du pédant tragique qui manque son effet par de trop longs discours. Il y a aussi ceux qui trop aisément confondent leurs misères personnelles avec le drame universel, et, de ce fait, rédui- sent la grande tragédie aux proportions d'une comédie lar- moyante et bourgeoise. Il y a enfin la grande masse anonyme composée de ceux qui n'ont qu'un rôle effacé à jouer ; et ce sont peut-être eux, les figurants de la grande tragédie, qui par mines et gestes expriment le mieux ce que les autres, en vain, cherchent à mettre en paroles. Mais il semble dif- ficile de ne composer une tragédie que de figurants, et on est, qu'on le veuille ou non, à la recherche de l'individu.

Or, c'est précisément ici que nous touchons au grand problème, qui semble se poser pour la vie intellectuelle en Allemagne. L'intellectuel allemand, — je parle de la jeunesse — a été brusquement tiré du refuge qu'il s'était créé en lui-même, et lorsqu'il a voulu y revenir, il a trouvé la porte close. Resté au dehors il s'est mis en quête de ceux qui, comme lui, erraient sur les grand'routes, et vous ne voyez plus que bandes et groupes où vous étiez accoutumé à trouver des individus.

Toutefois ne croyez pas que l'individu ait volontairement abdiqué sa personnalité. Il cherche, au contraire, dans le groupe, ce qu'il ne peut trouver en lui-même, et se mettant d'accord avec les autres, il se croit original. Mais si par ses cris et gestes il nous démontre qu'il n'est pas comme les autres, il ne saurait nous convaincre qu'il sait être lui-même ; à travers les cris dissonants et les gestes incohérents par lesquels il cherche à prouver son originalité aux autres et à

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