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plus forts et plus croyants, avaient su extraire du fond de leur âme, et pour en dégager les caractères essentiels. Puis, quand notre destinée s’achèvera, nous saurons mourir en hommes conscients et enregistrer en observateurs curieux et avisés toutes les étapes de notre dissolution finale.

Les quelques idées que nous venons d’esquisser n’épuisent certainement pas la philosophie de M. Spengler ; mais notre résumé suffira, je le crois, pour expliquer l’impression que ces théories ont produite sur ses contemporains, et pour diagnostiquer les symptômes de la crise qui les prédisposait à recevoir les révélations de notre philosophe. On a le sentiment de vivre dans un moment tragique ; M. Spengler interprète ce sentiment, et le légitime. Or, on aime toujours à être dans le vrai, fût-ce pour se dire en droit de soufîVir. D’autre part, M. Spengler emploie des arguments tirés de l’histoire universelle, et c’est précisément ce qu’il fallait à des gens qui pendant cinq ans n’avaient entendu parler que de guerre mondiale.

Mais pour mieux apprécier la crise qui sévit en ce moment et qui, comme nous allons le voir, semble ici porter atteinte au sens de l’orientation morale, il faut qu’en quelques mots nous en indiquions les origines. Avant la guerre, il en était du temps comme de l’espace ; on savait où on était, et cela suffisait. Inutile de vous dire à combien de lieues vous vous trouviez de Pékin ou de New-York ; inutile de préciser combien de siècles vous séparaient du temps de Charlemagne ou de celui du roi David. Etre allemand ou être de son siècle semblaient choses également naturelles. Cela ne signifiait en somme qu’être placé dans certains cadres, dans lesquels la vie évoluait, en suivant l’ordre qui lui était particulier.

Survint la guerre, qui chez beaucoup bouleversa les conceptions du temps et de l’espace, et tout le monde se mit à