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792 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

LETTRE D'ALLEMAGNE.

Avant la guerre, lorsque mes amis voulaient bien s'adresser à moi pour savoir où en était le mouvement intellectuel en Allemagne, je leur citais des noms, je leur signalais des œuvres, et je n'envisageais l'Allemagne que comme une donnée spirituelle, représentant une des formes de la pensée humaine. Q.uant à l'actualité laide et bru3'ante, dans laquelle se mêlaient la brutalité des appétits et le clinquant du prestige, je pouvais ne pas en parler. La littérature et la philosophie, en effet, cons- tituaient alors un monde à part. La pensée était un refuge, une sorte de retraite spirituelle fermée aux idées du jour, et dans laquelle on ne voulait voir les choses que suh xtcrnitatis spccie, ou ce qui revenait au même, sub specie anima;. Les vrais poètes, les vrais philosophes — et qu'avais- je besoin de parler des autres — étaient ceux qui ne com- prenaient rien à la politique et savaient ignorer ce qui se passe au dehors. Les circonstances ont changé. L'éter- nité est peu de chose en regard des exigences impératives et immédiates du présent ; l'âme est devenue un centre de résonnance, une sorte d'appareil pour enregistrer les Impressions d'un monde que jadis elle ne voulait pas connaître.

C'est pourquoi il semble difficile maintenant d'isoler la littérature et la philosophie de l'ensemble des mou- vements sociaux et politiques, et d'analyser la crise intel- lectuelle, qui sévit en ce moment, autrement qu'en la rapportant à des conditions d'un ordre plus général. Nous voudrions toutefois tenter de le faire, croyant que tout essai d'envisager la littérature comme littérature, la philo- sophie comme philosophie, faciliterait une certaine liberté d'appréciation. Ajoutons, d'autre part, que les conditions dans lesquelles la pensée allemande évolue, soit qu'elles

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