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770 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

prend le français à rebrousse-poil, passe sans cesse, avec un rythme de douche écossaise, de la préciosité extrême à la négligence outrée, procède par juxtaposition et jamais par construction, et des phrases qui ne peuvent se lire tout haut sans disloquer la voix. En revanche les Concourt font remonter jusqu'à Flaubert leur haine du rondouillard et de l'oratoire, dénoncent dans Salammbô une syntaxe à l'usage des vieux universitaires flegmatiques.

De fait on ne saurait dire que ce style procure à l'oreille et au goût de grandes voluptés. Mais on s'y accoutume et même on y prend plaisir dès qu'on l'a rangé sous son idée, dès qu'on l'a mis à la place qui lui convient dans le paysage des stj'les français. S'il n'existait pas il manquerait quelque chose à la complexité harmonieuse de notre art littéraire. A sa racine il y a une faiblesse et une insuffisance, il y a l'inintel- ligence et l'impossibilité du continu, du continu constructii" dans le plan d'un roman, du continu logique dans un cha- pitre, du continu rythmique et musical dans le dessin d'une phrase. Comme il est naturel les Concourt ont déclassé et méprisé l'art dont ils étaient incapables, et mis à une place très haute celui qu'ils possédaient à un degré très haut : l'art d'exprimer et de jeter sur le papier, d'une touche sûre, une impression vue. Et la somme de ces impressions a fait quel- que chose d'original qui a agi profondément sur tout l'art contemporain. Mais l'Université enseigne à développer, à faire des « discours ». Elle a, de son côté, une tendance à croire que là est toute la substance de la littérature. Aussi s'est-elle réconciliée assez vite avec ceux des romantiques qui étaient des « oratoires ». Et il s'est trouvé, par une heureuse combinaison du destin artiste, que pendant vingt ans le plus grand nom de la critique française a été, après celui de Voralor Tainc, celui d'un professeur à l'Ecole Normale, grand concaténatcur devant l'Eternel, un tacticien du livre, dont l'art essentiel consistait à grouper solidement et à faire

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