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SI LE GRAIN NE MEURT…
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il ne retenait plus rien. Je ne me souviens que des doigts en spatule de M. Pourtil, extraordinairement plats, larges et carrés du bout, qu’il promenait sur ces cartes.

Je reçus en cadeau de nouvel an, cet hiver, un appareil à copier ; je ne sais plus le nom de cette machine rudimentaire, qui n’était en vérité qu’un plateau de métal couvert d’une substance gélatineuse, sur laquelle on appliquait d’abord la feuille qu’on venait d’écrire, puis la série des feuilles à impressionner. L’idée d’un journal naquit-elle de ce cadeau, ou au contraire le cadeau vint-il pour répondre à un projet de journal ? Peu importe. Toujours est-il qu’une petite gazette à l’usage des proches fut fondée. Je ne pense pas avoir conservé les quelques numéros qui parurent : je crois bien qu’il y avait de la prose et des vers de mes cousines ; quant à ma collaboration, elle consistait uniquement dans la copie de quelques pages des grands auteurs : par une modestie que je renonce à qualifier, je m’étais persuadé que les parents trouveraient plus de plaisir à lire « L’Écureuil est un gentil petit animal... » de Buffon et des fragments d’épîtres de Boileau, que n’importe quoi de mon cru — et qu’il était séant qu’il en fût ainsi.

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Cette année 1881, ma douzième, ma mère qui s’inquiétait un peu du désordre de mes études et de mon désœuvrement à La Roque, fit venir un précepteur. Je ne sais trop qui put lui recommander M. Gallin. C’était un tout jeune gandin, un étudiant en théologie je crains bien, myope et niais, que les leçons qu’il donnait semblaient embêter encore plus que moi, ce qui n’était pourtant pas peu dire. Il m’accompagnait dans les bois,

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