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vie de guillaume apollinaire
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échelle de bambou au haut de laquelle je te vois toujours juché, en habit gris. J’ai rencontré une fois Giovanni Moroni et ses belles bagues fausses et ne l’ai plus revu. J’irai, songeant au jour des jours où les tristes vivants ressusciteront parmi les morts élus, boire un verre à ta santé chez le troquet de la rue Caulaincourt, au rez-de-chaussée de la maison d’une somnambule qui avait ta pratique. Je t’y attendis deux heures. Et j’irai en boire un autre chez le bougnat de l’avenue Niel où nous fûmes noyer de clairet notre folle gaieté, après avoir, pour « le baron », été demander raison à ce sympathique M. D… qui nous répondit : « Pouvais-je supposer !… Vrai, messieurs, je croyais que vous veniez m’intéresser à la fondation d’une revue ! »

Guillaume, tout est bien changé ; tout est bien froid ici et les hommes sont plus durs. Bannis les regrets d’une vie dont l’ordinaire t’eût affligé de désillusions. Pourtant le soleil de gloire s’est levé sur ton champ d’asile et le jour viendra de la résurrection des poètes.

andré salmon