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BEAUTÉ, MON BEAU SOUCI 65

Etendu sur un divan, près de la fenêtre en saillie, au rez-de-chaussée, Marc Fournier goûtait le silence de son quartier et cherchait à se l'expliquer. Conament se fai- sait-il que toutes choses fussent à. ce point isolées, sans rayonnement, sans accointance, sans se faire entendre leurs voix ? Et sa pensée suivit la rue où étaient la mai- son de Carlyle et celle de Leigh Hunt, jusqu'à son confluent, après un tournant brusque, avec une rue plus large, — et là, au coin, à gauche, il y avait, derrière une palissade noire, une villa inhabitée qui dormait au fond de son jardin dont les allées s'effaçaient, transpa- raissant encore sous les herbes et les fleurs comme les événements d'un songe sous les premières sensations du réveil. C'était là qu'avec la complicité de tout le quartier, à la faveur de ce silence tendu, voulu par tous les habitants, la nature se réparait, reprenait toutes ses habitudes, mêlait toutes ses croissances, oblitérait avec patience et entêtement un passé humain, une, histoire humaine, dont les empreintes se voyaient peut-être encore sur la sable recouvert de feuilles et de tendres tiges, — et lourdement, régulièrement, comme une pulsation, les trois notes sauvages et passionnées d'un oiseau invisible tombaient dans le silence d'ombre et d'or. Et c'était là, sans doute, que s'étaient réfugiées les anciennes petites divinités proscrites, celles de la rive, celles qui protégeaient les potiers, celles de la forge et du pré communal, — toutes les nymphes et les fées de Chelsea ! Et cela était beaucoup plus important que le souvenir morose des grands hommes qui jadis avaient habité là. Cela faisait de ce quartier un pays féerique : on le sentait bien à ce silence de rêve, à cette lumière

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