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LES PIXCEXGRAIN' 565

VIII

Un soir de dimanche, Eliane est assise seule auprès de sa mère. Madame Pincengrain trône dans un fauteuil de bois sculpté, monumental, comme au fond d'une chaire à baldaquin. Trois degrés la surélèvent. Eliane, pour une fois, n'ira pas aux \'épres. Elles disent à des intervalles réguliers toujours la même parole :

« Véronique va rentrer. »

Véronique revient d'un long voyage. Elle est fatiguée à mourir. Elle va tomber. Elle embrasse sa mère, sa sœur, et prend sa place en face d'Eliane, de l'autre côté de leur mère :

« J'arrive chez le curé du Monteil, après la messe. Il n'a pas voulu que père eût un enterrement chrétien. Je l'ai supplié. Il m'a rappelé toutes les fautes du mort qu'il appelait des crimes. Je lui ai dit que je les savais^ que j'étais sa fille, que nous en avions souffert, que nous lui avions pardonné, que l'Eglise fasse de même. Comme- je m'asseyais à ce moment un peu lasse, il se leva: « Et puis votre père a fait vendre mon presbytère aux enchères publiques. » — Je me suis présentée à la mairie, pour réclamer le droit d'inhumer sur la com- mune. Le Conseil municipal était réuni dans la salle des Fêtes. Monsieur Bidon, ceint de son écharpe trico- lore à la place de père, m'a obligée à dire trois fois le- nom de Pincengrain, quand il m'avait reconnue.

Vers midi enfin, je prenais la route des Sorbiers,, pour rejoindre la maison où était le corps. Ce voyage de toute une nuit, après quinze ans d'absence, m'avait paru

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