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LETTRE A UN HISTORIEN 47

changé de nature, le jour où l'on a cessé de se repré- senter les personnages de l'Evangile sous des vêtements contemporains ? et que le drame de la Passion a beau- coup perdu de sa réalité, lorsque ces toges, ces sandales, ce décorum antique ont fait leur apparition ? Vous figu- rez-vous les cantiques franciscains adressés à ces figures intimidantes ? Au Moyen-Age, si l'amour des mystiques a toute l'ardeur et la force de l'amour proprement dit, c'est qu'il est direct, actuel. Depuis, la foi a trouvé d'autres accents, plus nobles, plus grandioses, plus humiliés, mais son essence la plus précieuse s'est éventée dès ces premiers sacrifices à l'exotisme.

J'en dirais autant des traductions grecques et latines. Pourquoi le Plutarque d'Amyot a-t-il eu tant d'action sur son époque et continue-t-il à nous émouvoir ? On voudrait nous persuader que c'est à cause de son style. Certes ce style est savoureux ; mais il l'est moins verba- lement que par la force naïve avec laquelle il épouse l'original, s'en approprie le contenu, pénètre dans la familiarité des personnages. Pas un terme savant là où peut servir une locution française : les sommes d'argent sont comptées en écus, les distances mesurées en lieues, une amphore est une cruche et une knémide est une jambière. Comment voulez-vous que, sans une transpo- sition où se perd le plus chaud de mon élan, je fasse miennes les aventures d'un homme qui porte des kné- mides ? Du coup il n'est plus qu'un mannequin de musée. C'est parfait pour qui s'intéresse à l'histoire de l'uniforme, ou encore pour qui cherche des rimes riches ou qui a besoin de quelques épices pour réveiller une imagination paresseuse. Mais Plutarque vaut mieux

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