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NOTES 475

cas, il est peu probable que se réalise jamais cette prédiction de M. de Vogué (citée par M. Bonnaffé dans son Introduc- tion) : « Dans vingt ans, si Dieu nous prête vie, nous arpenterons un boulevard qui ne différera guère de Picca- dilly. » On nous demandera peut-être : « Mais, quelle a manie » verbale va succéder à l'anglomanie ?» — Si nous osions faire une prédiction, nous répondrions : « La gallo- manie », c'est-à-dire la remise en honneur et la résurrection de beaucoup de vieux mots français ; par exemple ménager (d'hôtel) au lieu de manager. Mais ce que nous désirons n'est pas forcément ce qui arrivera. Et puis, il faudra longtemps pour que l'anglomanie verbale achève de décrire sa courbe descendante, et les yeux et les oreilles des puristes n'ont pas fini de souffrir.

C'est'ainsi qu'il y a quelque temps nous avons entendu, en plein Paris, un Français, — un explicateur de cinématogra- phe, — employer douze ou quinze fois dans une heure le mot « réaliser » dans son sens anglais (d'origine améri- caine) : « Les explorateurs réalisent le danger qu'ils courent. Shackleton réalise la situation désespérée dans laquelle... etc., etc. » Et le lendemain ou le surlendemain, nous lisions dans un grand quotidien : « L'Allemagne n'a pas encore réalisé sa défaite. »

Chose curieuse, dans ce même quotidien, quelques jours avant, quelqu'un protestait contre les anglicismes, et accu- sait « les jeunes écrivains ■» de corrompre la langue fran- çaise en se faisant les introducteurs de mots et locutions vicieuses.

« Réaliser » est bien le type de ces barbarismes. Déjà « realize » n'est pas d'un excellent anglais, et nous n'aurions jamais osé l'écrire dans une dissertation de licence. Mais « réaliser », en français, n'a et ne peut avoir qu'un sens : « rendre réel ». Nous nous sommes demandé quel « jeune écrivain » avait introduit ce mot (« Une nouvelle acception

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