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434 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

masques et dégagent de nous des figures qui étaient bien en

nous, mais que l'optique de notre temps ne permettait ni à

nous ni aux autres d'apercevoir, ceux-là sèment sur notre

tombe des choses après tout vivantes, qui valent parfois

mieux que l'eau bénite et les marbres funéraires. Pierrot

dans une comédie de Théophile Gautier rédige ainsi sa

propre épitaphe :

// ne fit rien qui vûiUe

Et vécut sans remords en parfaite canaille...

C'est plus original que bon fils, bon époux,

Bon père, et caiera, comme les morts sont ions.

Je veux dire que le diable porte sa pierre à Dieu, et que les ennemis d'un grand écrivain, après sa mort, ne mordent pas précisément sur du granit, mais, à la façon des eaux courantes, sculptent le granit qu'ils rongent. Le livre de Sainte-Beuve a rendu en somme service à Chateaubriand, le Journal des Goiicourt à Sainte-Beuve, Edmond Biré à Victor Hugo. Si le lecteur sait mettre au point ces réquisitoires et en tirer la substance utile, il les voit qui jettent du bois humain dans la flamme du génie, croyant l'obscurcir et la nourrissant.

Toutes ces raisons, qui ne vont pas sans quelque so- phisme, consoleront peut-être l'écrivain d'occuper parmi les artistes certaine place privilégiée, peut-être réelle- ment, peut-être à rebours. La biographie des grands peintres ou des grands musiciens nous est présentée géné- ralement sous les espèces d'une louange continue. Leur génie constitue une présomption de grandeur d'âme ; on s'attaque, suivant les fluctuations du goût, à leur œuvre, mais point à leur vie, qui ne s'écrit guère que sur un ton d'indifférence ou d'apologie. Il n'en est pas de même de l'écrivain, surtout depuis le xviii»^ siècle. Voltaire, Rousseau, Chateaubriand, Lamartine, Victor Hugo, Musset, Vigny, Balzac, ont eu à subir un jugement des morts

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